Dimanche 18 octobre, Messe à 11h00 à Nagasaki: la ville de la bombe atomique. Et des martyrs chrétiens.
11.00 France 2Messe
Messe célébrée en direct de la cathédrale Notre-Dame à Nagasaki au Japon.
Prédicateur : monseigneur Joseph-Mitsukaki Takami, archevêque de Nagasaki.
Le Jour du Seigneur retransmet pour la première fois une messe télévisée en direct du pays au soleil levant, dans le cadre de la commémoration des bombardements de Nagasaki, survenus en 1945. Arnaud de Coral interviendra à l'antenne pour la dernière fois en tant que producteur, pour expliquer les rites liturgiques. En 1985, des cérémonies furent organisées à Hiroshima et Nagasaki (Japon) en mémoire des victimes des bombes atomiques lancées sur ces deux villes, quarante ans auparavant. Un témoin oculaire de ces célébrations remarque: «À Hiroshima, il y a de l'amertume, du bruit, c'est très politique... Le symbole pourrait en être un poing serré de colère. À Nagasaki, il y a de la tristesse, mais aussi le calme, la réflexion, il n'y a pas de politique, on prie. On n'y blâme pas les États-Unis, mais on y pleure plutôt le péché de la guerre et, plus particulièrement, de la guerre nucléaire. Le symbole: des mains jointes pour prier». Plus que tout autre, l'influence du docteur Takashi Nagaï explique le climat spirituel qui régnait ce jour-là à Nagasaki. Un prêtre disait de lui: «Si nous avons un peu de cette foi que possédait Nagaï en la providence du Père éternel et en la valeur universelle de la mort du Christ, nous pourrons affronter chaque événement dans la paix». Qui donc était ce docteur Nagaï?
Takashi Nagaï est né en 1908, à Isumo près d'Hiroshima, dans une famille de cinq enfants, de religion shintoïste. En 1928, il entre à la faculté de médecine de Nagasaki. «Dès mes études secondaires, écrira-t-il, j'étais devenu prisonnier du matérialisme. À peine entré à la faculté de médecine, on me fit disséquer des cadavres... La merveilleuse structure de l'ensemble du corps, l'organisation minutieuse de ses moindres parties, tout cela causait mon admiration. Mais ce que je maniais ainsi, ce n'était jamais que pure matière. L'âme? un fantôme inventé par des imposteurs pour tromper les gens simples».
Le dernier regard d'une mère
Un jour de 1930, un télégramme lui parvient de son père: «Viens à la maison!» Il part en toute hâte, pressentant quelque malheur. À son arrivée, il apprend avec stupeur que sa mère a eu une attaque et qu'elle ne peut plus parler. Il s'assied à côté d'elle et lit dans son regard un dernier "au revoir". Cette expérience de la mort va changer sa vie: «Par ce dernier regard pénétrant, ma mère démolit le cadre idéologique que j'avais construit. Cette femme, qui m'avait mis au monde et élevé, cette femme qui ne s'était jamais donné un moment de répit dans son amour pour moi, aux derniers instants de sa vie, me parla très clairement. Son regard me disait que l'esprit humain continue à vivre après la mort. Tout cela venait comme une intuition, une intuition qui avait la saveur de la vérité».
Takashi commence alors la lecture des "Pensées" de Pascal, auteur français du XVIIe siècle, poète et savant. «L'âme, l'éternité Dieu. Notre grand prédécesseur, le physicien Pascal avait donc admis sérieusement ces choses! se dit-il. Ce sage incomparable y croyait vraiment! Que devait être cette foi catholique, pour que le savant Pascal pût l'accepter, sans contredire sa science?» Pascal explique que nous rencontrons Dieu par la foi et dans la prière. Même si vous ne pouvez encore croire, dit-il, ne négligez pas la prière ni l'assistance à la Messe. Je suis toujours prêt à vérifier une hypothèse au laboratoire, pense Nagaï, pourquoi ne pas essayer cette prière sur laquelle Pascal insiste tant? Il décide de chercher une famille catholique qui accepte de le prendre comme pensionnaire pendant ses études. Cela lui donnera des occasions de connaître le catholicisme et la prière chrétienne.
Il est reçu dans la famille Moriyama. M. Moriyama, marchand de bestiaux, descend d'une de ces vieilles lignées chrétiennes qui, à travers 250 ans de persécutions, surent conserver la foi apportée au Japon par saint François Xavier. La pureté de cette foi chrétienne étonne le jeune Nagaï: d'humbles fermiers lui enseignent par leur exemple ce qu'avait cru Pascal, le grand savant!
En mars 1932, une sévère otite le rend sourd de l'oreille droite, et bouleverse par le fait même ses projets d'avenir: ne pouvant plus se servir du stéthoscope, il doit renoncer à la médecine ordinaire. Il oriente alors ses études vers la médecine radiologique, qui débute au Japon. Il prend conscience des possibilités énormes que cette science met à la disposition des médecins pour déceler les maladies.
M. et Mme Moriyama ont une fille, Midori, institutrice dans une autre ville. Tous trois prient pour la conversion de Takashi, pensant que peut-être Dieu le leur a envoyé dans ce but. Le 25 décembre 1932, Midori est chez ses parents pour la fête de Noël. «Docteur, demande M. Moriyama à Takashi, pourquoi ne venez-vous pas avec nous à la Messe de minuit? - Mais, je ne suis pas chrétien! - Peu importe, les bergers et les rois mages qui vinrent à l'étable ne l'étaient pas non plus. Pourtant, quand ils virent l'Enfant, ils crurent. Vous ne pourrez jamais croire, si vous ne venez pas prier à l'église». Après quelques instants, Nagaï se surprend lui-même à répondre: «Oui, j'aimerais vous accompagner ce soir». Cinq mille chrétiens remplissent la cathédrale, chantant tous le même Credo en latin. Nagaï est fortement impressionné et encouragé dans sa réflexion sur la religion catholique, sans cependant se laisser convaincre.
Le petit catéchisme de Midori
Une nuit, M. Moryama vient réveiller Takashi: Midori se tord de douleur sur sa couche. Très vite, le jeune médecin diagnostique une appendicite aiguë. Il entend M. Moryama murmurer: «C'est la volonté de Dieu. Qui sait quel bien en sortira?» Malgré la neige abondante, Takashi court à l'école voisine pour téléphoner à l'hôpital: «Allo, allo, le 32 00, s'il vous plaît, c'est urgent... Allo, ici Nagaï. Qui est aux urgences ce soir? Bon. Pourriez-vous l'appeler, s'il vous plaît?» Un ami vient répondre et Nagaï lui demande s'il peut pratiquer immédiatement une appendicectomie. Sur sa réponse affirmative, Takashi retourne chercher Midori: «Cela prendrait trop de temps d'appeler un taxi, avec toute cette neige. Nous ne pouvons pas prendre le risque d'attendre», et s'adressant à M. Moryama: «Si vous voulez bien porter la lanterne devant, je peux facilement porter Midori». Pendant le trajet, Takashi se rend compte que le coeur de Midori s'emballe et qu'elle est brûlante de fièvre. Sa vie est en danger. Il presse le pas. Enfin, voici l'hôpital! La salle d'opération est prête. Sept minutes après, tout est terminé. Midori est sauvée. En reconnaissance, celle-ci va tout mettre en oeuvre pour la conversion de son sauveteur.
L'année suivante, Takashi est mobilisé dans l'armée japonaise et il part combattre les Chinois en Mandchourie. Dans un colis que Midori lui envoie, se trouve un petit catéchisme qu'il lit avec intérêt. Au bout d'un an, il revient au pays, presque désespéré par la prise de conscience des désordres de sa vie et le souvenir des affreux spectacles de la guerre. Il se rend à la cathédrale de Nagasaki et y rencontre un prêtre japonais qui le reçoit longuement. Encouragé, Takashi reprend son travail de radiologie et se met à étudier la Bible, la liturgie, la prière des catholiques. Mais les exigences morales de l'Évangile et la nécessité de se séparer des attaches religieuses shintoïstes de sa famille font encore obstacle à sa conversion. Un jour, au milieu de ses doutes, il reprend les "Pensées" de Pascal et tombe sur une phrase qui attire son attention: «Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que voir, et assez d'obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire». Soudain, tout se clarifie pour lui. Il prend sa décision et demande le baptême, qu'il reçoit en juin 1934. Il choisit le nom de Paul, en souvenir de saint Paul Miki, martyr japonais crucifié à Nagasaki en 1597.
Deux mois plus tard, il épouse Midori. Auparavant, il a voulu faire connaître à celle-ci les risques importants auxquels l'expose son métier. En effet, les radiologues de l'époque n'avaient pas les moyens de se protéger suffisamment contre les rayons X. Midori a compris le danger pour la vie de Takashi, mais elle entre dans ses vues et partage son idéal de "pionnier", pour sauver des vies humaines. Nagaï va devenir plus qu'un médecin, un apôtre de la charité envers le prochain. Il écrit: «La tâche du médecin est de souffrir et de se réjouir avec ses patients, de s'ingénier à diminuer les souffrances comme si elles étaient les siennes mêmes. Il faut sympathiser avec leurs douleurs. Toutefois, en fin de compte, ce n'est pas le médecin qui guérit le malade, mais le bon plaisir de Dieu. Une fois que l'on a compris cela, le diagnostic médical engendre la prière».
À nouveau mobilisé, de juin 1937 à mars 1940, il participe comme médecin à la guerre sino-japonaise. Son dévouement à l'égard de tous, militaires japonais ou chinois, femmes, enfants et vieillards impitoyablement entraînés dans d'horribles tueries, a pris une extension héroïque. À son retour au Japon, les demandes de radiographies se multiplient. Bientôt, Takashi remarque sur ses mains des traces inquiétantes; il est, de plus, souvent épuisé. Il note dans son journal que parfois, quand il se sent complètement éteint, il ferme sa porte et va s'asseoir devant la statue de Marie dans son bureau. Il récite le chapelet et peu à peu retrouve la paix intérieure.
Trois ans de vie
Un collègue de Takashi le persuade de passer lui-même à la radiographie. Un matin de juin 1945, il s'exécute: «Préparez l'appareil, dit-il à son aide. - Mais, Docteur, aucun patient n'est encore là. - Le patient, le voici, répond Nagaï en montrant sa poitrine. - Et le médecin? - Le voilà! et il désigne ses yeux». À la vue de la radiographie, Nagaï a le souffle coupé: sur la partie gauche figure une large plaque noire: hypertrophie de la rate! Il diagnostique une leucémie. Il murmure: «Seigneur, je ne suis qu'un serviteur inutile. Protégez Midori et nos deux enfants. Qu'il me soit fait selon votre volonté». Le docteur Kageura, chef du département de médecine interne, confirme son analyse: «Leucémie chronique. Durée de vie: trois ans». Il a usé sa vie pour sauver des malades sans nombre, que personne d'autre que lui n'aurait pu radiographier.
Rentré chez lui, Takashi révèle tout à Midori. Celle-ci s'agenouille devant le crucifix que sa famille avait gardé pendant les 250 années de persécutions, et prie longuement, secouée de sanglots, jusqu'à ce que la paix revienne dans son âme. Nagaï prie lui aussi; le remords l'envahit à la pensée qu'il s'est toujours jeté tête baissée dans son travail, sans penser suffisamment à son épouse. Mais Midori se montre à la hauteur de la situation. Le lendemain, c'est un homme nouveau qui repart à son travail: l'acceptation totale de la tragédie de la part de Midori et son refus d'entendre parler de "négligence" l'ont rempli de force.
9 août 1945, onze heures et deux minutes. Un éclair aveuglant. Une bombe atomique vient d'exploser à Urakami, le quartier nord de Nagasaki. Dans la guerre qui les oppose au Japon, les dirigeants des États-Unis ont recours à une nouvelle arme terrifiante: la bombe A. Une première bombe à été lâchée sur Hiroshima, une deuxième dévaste Nagasaki: température 9 000°, 72 000 morts, 100 000 blessés. À l'université de médecine, située à 700 mètres du centre de l'explosion, Nagaï, qui classe des films radiographiques, est projeté sur le plancher, le côté criblé d'éclats de verre. Le sang coule abondamment de sa tempe droite... les objets tourbillonnent comme les feuilles mortes en automne. Bientôt, un flot ininterrompu de blessés: des silhouettes sanglantes, les vêtements arrachés, les cheveux brûlés, accourent à la porte de l'hôpital Une vision d'enfer.
«Son chapelet!»
L'incendie s'approche de l'hôpital. On évacue les patients vers le sommet d'une colline voisine. Nagaï s'y dépense jusqu'à la limite de ses forces. À seize heures, l'incendie s'attaque au département de radiologie. Treize années de recherches, les instruments, la précieuse documentation, tout part en fumée. Le 10 août se passe à soigner les blessés. Le 11, le travail se fait un peu moins pressant, et Takashi part à la recherche de Midori, restée à la maison alors que les enfants et leur grand-mère sont en sûreté dans la montagne, depuis le 7 août. Il retrouve difficilement l'emplacement de son habitation dans une zone de tuiles et de cendres. Soudain, il découvre les restes carbonisés de son épouse. À genoux, il prie et pleure, puis ramasse les os dans un récipient. Quelque chose brille faiblement dans la poudre des os de la main droite: son chapelet!
Il incline la tête: «Mon Dieu, je vous remercie de lui avoir permis de mourir en priant. Marie, mère des douleurs, merci de l'avoir accompagnée à l'heure de la mort Jésus, tu as porté la lourde croix jusqu'à y être crucifié. Maintenant, tu viens de répandre une lumière de paix sur le mystère de la souffrance et de la mort, celle de Midori et la mienne Étrange destinée: j'avais tant cru que ce serait Midori qui me conduirait au tombeau Maintenant ses pauvres restes reposent dans mes bras Sa voix semble murmurer: pardonne, pardonne». Le pardon de Nagaï sera parfait. Il aimera à porter les chrétiens découragés par la perte de leur famille, à considérer la bombe A comme faisant partie de la providence de Dieu, qui tire toujours le bien du mal.
Le 15 août 1945, à midi, la radio transmet un message de l'Empereur annonçant la capitulation du Japon. Au début de septembre, Nagaï est mourant. Les radiations de la bombe A ont aggravé son mal. Il reçoit les derniers sacrements et dit: «Je meurs content», puis il tombe dans un demi-coma. On lui apporte de l'eau de la grotte de Lourdes construite non loin de là par le Père Maximilien Kolbe. «J'entendis, écrira-t-il, une voix qui me disait de demander au Père Maximilien Kolbe de prier pour moi. Je le fis. Puis, je m'adressai au Christ et lui dis: "Seigneur, je me remets entre tes mains divines"». Le lendemain matin, Takashi est hors de danger et il attribue au Père Kolbe (aujourd'hui canonisé) la rémission de six ans que lui laisse sa maladie.
«Moi, je veux y vivre le premier!»
Tandis que les habitants craignent de revenir à Urakami, Nagaï déclare: «Moi, je veux y vivre le premier!» Il se bâtit un abri près de son ancienne maison: quelques tôles posées sur un restant de mur. Devant, deux pierres forment un foyer de fortune au-dessus duquel pend un chaudron. À côté, une vieille bouteille sans col: la réserve d'eau. Comme vêtement: un des uniformes de marin distribués par l'armée aux sinistrés. Il commence à évacuer les débris de sa maison. Il y découvre le crucifix qui appartenait à l'autel familial: «Tout m'a été enlevé, dit-il; ce crucifix seul, je l'ai retrouvé».
Le 23 novembre 1945, Nagaï est invité à prendre la parole lors d'une Messe de Requiem célébrée à côté des décombres de la cathédrale d'Urakami. L'holocauste du Christ sur le Calvaire éclaire et donne sens à "l'holocauste" de Nagasaki: «Au matin du 9 août, dit Takashi, une bombe atomique explosait au-dessus de notre faubourg. En un instant, 8 000 chrétiens furent appelés à Dieu... À minuit ce soir-là, notre cathédrale prit soudain feu et fut consumée. À cet instant même, au Palais Impérial, Sa Majesté l'Empereur fit connaître sa décision... Le 15 août, l'édit impérial qui mettait fin aux combats fut officiellement promulgué et le monde entier aperçut la lumière de la paix. Le 15 août est aussi la grande fête de l'Assomption de Marie. Ce n'est pas pour rien que la cathédrale d'Urakami lui était consacrée... N'y a-t-il pas un rapport profond entre l'anéantissement de cette ville chrétienne et la fin de la guerre? Nagasaki n'était-elle pas la victime choisie, l'agneau sans tache, holocauste offert sur l'autel du sacrifice, tuée pour les péchés de toutes les nations pendant la deuxième guerre mondiale?... Soyons reconnaissants que Nagasaki ait été choisie pour cet holocauste! Soyons reconnaissants car, à travers ce sacrifice, la paix a été donnée au monde ainsi que la liberté religieuse au Japon».
Au printemps de 1947, la maladie de Takashi l'oblige à s'aliter dans sa cabane. Il lui faut résigner sa charge de professeur, et, de ce fait, il se trouve sans ressources. «Ma tête travaille encore, se dit-il. Les yeux, les oreilles, les mains et les doigts sont encore bons». Et il se met à écrire. Pour ses enfants encore bien jeunes, Makoto et Kayano, il rédige un recueil de conseils: «Mes chers enfants, aimez votre prochain comme vous-mêmes. Voilà la parole que je vous laisse. C'est par elle que je commencerai cet écrit, c'est peut-être bien par elle que je conclurai et encore par elle que je me résumerai». Ce message, son seul exemple aurait suffit à l'imprimer dans leurs coeurs. Toute l'existence de leur père a-t-elle été autre chose qu'un héroïque service du prochain, service qui le conduit aujourd'hui à la mort? Ce service, Nagaï veut y consacrer jusqu'à ses dernières heures.
Couché sur le dos, il écrit en tenant une planchette à dessin comme en emploient les écoliers. Il note: «En me réveillant ce matin à 1 heure, la fièvre était tombée. Après avoir bu le café du thermos, j'ai pu écrire jusqu'à sept heures du matin, le travail a bien avancé!» Il ne lui restera bientôt plus que la nuit pour écrire, car dès le matin les visiteurs s'annoncent, mais il ne leur montre aucune impatience: «Cela m'ennuie, écrit-il, mais puisqu'ils ont la gentillesse de venir ici, ne dois-je pas tâcher de verser un peu de joie dans leur coeur et de leur parler de notre espérance catholique? Je ne peux pas les renvoyer».
C'est dans ces conditions difficiles qu'il écrit et publie quinze volumes en quatre ans. Quel but se propose-t-il dans ses écrits? D'abord donner un compte-rendu fidèle de l'explosion atomique, à travers son expérience exceptionnelle et sa compétence personnelle, ensuite, travailler à l'établissement de la paix. Convaincu surtout qu'une paix durable ne peut se fonder que sur l'esprit d'amour qui resplendit dans la doctrine catholique, il considère comme sa vocation de propager le message chrétien.
Une seule garantie
À la fin de son livre «Les cloches de Nagasaki», il écrit: «Est-ce que l'humanité sera heureuse à l'âge atomique, ou bien misérable? Cette arme à deux tranchants cachée par Dieu dans l'univers et maintenant découverte par l'homme, qu'allait-on en faire? Un bon usage ferait progresser à grands pas la civilisation; un mauvais détruirait le monde. La décision repose dans le libre vouloir de l'homme. Celui-ci tient son destin dans ses mains. En y songeant, on se sent pris de terreur et, pour ma part, je crois qu'un véritable esprit religieux est la seule garantie en ce domaine... À genoux dans les cendres du désert atomique, nous prions pour que cet Urakami soit la dernière victime de la bombe. La cloche sonne... O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous».
En mars 1951, l'état de santé du docteur est alarmant, sans altérer pour autant son habituelle bonne humeur. En avril, il écrit son dernier livre. À peine l'a-t-il achevé, qu'il est victime d'une hémorragie cérébrale. On le transporte à l'hôpital où il perd connaissance. Revenu à lui, il dit à haute voix: «Jésus, Marie, Joseph», puis plus faiblement: «Je remets mon âme entre vos mains». Bouleversée, l'infirmière donne le grand crucifix de famille à Makoto, son fils, pour qu'il le porte à son père. Celui-ci le prend et s'écrie d'une voix étonnamment forte: «Priez, s'il vous plaît, priez »; aussitôt c'est la fin en réalité, tout commence en Dieu, et Nagaï retrouve «Midori à ses côtés», comme il l'avait souhaité six ans auparavant. C'est le 1er mai, début du mois de Marie.
Lors des obsèques, à la cathédrale d'Urakami, le maire de Nagasaki fait la lecture solennelle de 300 messages de condoléances, en commençant par celui du Premier Ministre. À la fin de la cérémonie, la foule se met en route pour le cimetière, à un kilomètre et demi au sud; la tête de la procession y parvient alors que la majeure partie n'a pas encore quitté la cathédrale. Takashi Nagaï est enterré à côté de Midori. Pour la tombe de celle-ci, il avait choisi comme épitaphe: Je suis la servante du Seigneur. Qu'il me soit fait selon votre parole (Lc 1, 38); pour la sienne: Nous sommes des serviteurs inutiles. Nous avons fait ce que nous devions faire (Lc 17, 10). Son influence s'étend grâce à ses livres (dès 1948, on les lisait partout au Japon) qui ont fourni une contribution remarquable à l'éducation sociale de ses concitoyens et à l'évangélisation de son pays.
Demandons à la Très Sainte Vierge et à saint Joseph, pour nous et tous ceux qui nous sont chers, une vraie conversion, un amour du prochain poussé jusqu'au sacrifice suprême, et une sainte mort qui nous introduise dans le bonheur éternel du Ciel.
Dom Antoine Marie osb, abbé
Ils sont 188, qui vivaient il y a quatre siècles et qui seront béatifiés dans un an. Dans cette même ville, en 1945, les deux tiers de la population catholique du Japon ont été tués en un seul jour. Etait-ce là un choix délibéré?
par Sandro Magister
ROMA, le 30 octobre 2007 – Dans les mémoires du cardinal Giacomo Biffi, en vente en librairie à partir d'aujourd'hui, figure un passage dont la fin est en suspens. Il concerne le Japon.
Dans ce passage, le cardinal Biffi revient sur le choc qu'il avait ressenti en 1945 en apprenant que des bombes atomiques avaient été larguées par les Etats-Unis sur Hiroshima le 6 août et sur Nagasaki le 9.
Il écrit:
"J'avais déjà entendu parler de Nagasaki. Je l'avais retrouvée à plusieurs reprises dans le 'Manuel d'histoire des missions catholiques' en trois tomes de Joseph Schmidlin, publié à Milan en 1929. C'est à Nagasaki que se trouvait la première vraie communauté catholique du Japon, au XVIe siècle. Le 5 février 1597, 36 martyrs (six missionnaires franciscains, trois jésuites japonais, 27 laïcs) avaient donné leur vie pour le Christ dans cette même ville. Ils ont été canonisés par Pie IX en 1862. Quand les persécutions reprennent en 1637, ce sont 35 000 chrétiens qui sont tués. Par la suite, la jeune communauté vit pour ainsi dire dans les catacombes, séparée du reste de la communauté catholique et dépourvue de prêtres. Mais elle ne s'éteint pas. En 1865, le père Petitjean découvre cette 'Eglise clandestine', qui se révèle à lui après avoir pris soin de vérifier qu'il était célibataire, qu'il rendait un culte à Marie et qu'il obéissait au pape de Rome. C'est ainsi que la vie sacramentelle peut reprendre dans les règles. En 1889, la liberté religieuse totale est proclamée au Japon. C'est la renaissance. Le 15 juin 1891, le diocèse de Nagasaki est érigé canoniquement. En 1927, il reçoit comme pasteur Mgr Hayasaka, qui est le premier évêque japonais et qui est consacré par Pie XI lui-même. Joseph Schimdlin nous apprend qu'en 1929, 63 698 des 94 096 catholiques japonais sont originaires de Nagasaki".
Le cardinal Biffi conclut ce propos par une inquiétante question:
"On peut supposer que les bombes atomiques n'ont pas été larguées au hasard. Dès lors, la question est inévitable: pourquoi avoir choisi comme cible de la seconde hécatombe, parmi toutes les villes du Japon, justement celle où le catholicisme est le plus répandu et affirmé, celle où il a connu sa plus glorieuse histoire?".
En effet, parmi les victimes de la bombe atomique qui a explosé à Nagasaki, les deux tiers de la petite mais dynamique communauté catholique japonaise ont disparu en un seul jour. Une communauté presque anéantie par deux fois en trois siècles.
En 1945, elle l'a été à cause d'un acte de guerre mystérieusement concentré sur elle. Trois siècles auparavant, c'était à cause d'une terrible persécution tout à fait comparable à celle de l'empire romain contre les premiers chrétiens, avec toujours comme épicentre Nagasaki et sa "colline des martyrs".
Pourtant, la communauté catholique japonaise a su renaître après chacune des ces deux tragédies. Après la persécution au XVIIe siècle, des chrétiens ont conservé la foi en la transmettant de père en fils pendant deux siècles, bien qu'ils aient été privés d'évêques, de prêtres et de sacrements. On raconte qu'en 1865, à l'occasion du vendredi saint, une bonne dizaine de milliers de ces "kakure kirisitan", ces chrétiens cachés, sont sortis des villages pour se présenter à Nagasaki aux missionnaires – stupéfaits – qui venaient d'obtenir l'autorisation d'accès au Japon.
De même, suite à la seconde hécatombe de Nagasaki, celle de 1945, l'Eglise catholique s'est reconstituée au Japon. Selon les dernières données officielles, celles de 2004, on compte un peu plus d'un demi-million de Japonais de confession catholique. C'est peu au regard d'une population de 126 millions d'habitants. Mais ils sont respectés et influents, notamment grâce à leur solide réseau d'écoles et d'universités.
En outre, si l'on ajoute aux Japonais de naissance les immigrés venant d'autres pays d'Asie, le nombre de catholiques est multiplié par deux. Selon un rapport remis en 2005 par la commission pour les migrants de la conférence des évêques, le nombre total de catholiques a récemment dépassé le million, une première dans l'histoire du Japon.
Cette toile de fond fait apparaître sous un nouveau jour un décret que Benoît XVI a promulgué le 1er juin 2007: la béatification de 188 martyrs japonais, qui s'ajoutent aux 42 saints et aux 395 bienheureux – tous martyrs – déjà élevés à la gloire des autels par les papes précédents.
La cérémonie de béatification – la première à avoir lieu au Japon – sera célébrée le 24 novembre 2008, à Nagasaki justement, par le préfet de la congrégation pour la cause des saints, le cardinal José Saraiva Martins, envoyé spécial de Benoît XVI.
Dans les documents du procès canonique, les 188 martyrs japonais qui seront béatifiés l'année prochaine sont identifiés comme "le père Kibe et ses 187 compagnons". Ils ont été tués à cause de leur foi entre 1603 et 1639.
Pierre Kibe Kasui est né en 1587. La même année, le shogun Hideyoshi, gouverneur militaire de Nagasaki, émet un édit qui somme les missionnaires étrangers de quitter le Japon. Dix ans plus tard, c'est le début des persécutions.
A cette époque, on comptait environ 300 000 catholiques au Japon, évangélisés d'abord par les jésuites, avec saint François-Xavier, puis par les franciscains également.
En février 1614, un nouvel édit impose la fermeture des églises catholiques et l'assignation à résidence de tous les prêtres encore présents, qu'ils soient japonais ou étrangers, à Nagasaki.
La même année, au mois de novembre, les prêtres et les laïcs qui dirigeaient les communautés sont contraints à l'exil. Le père Kibe rejoint d'abord Macao, puis Rome.
Pierre Kibe Kasui a été ordonné prêtre le 15 novembre 1620. Après avoir accompli son noviciat à Lisbonne, il a prononcé ses premiers vœux de jésuite le 6 juin 1622.
De retour au Japon, le père Kibe retrouve les catholiques qui étaient cruellement persécutés. Il est capturé en 1639 à Sendai avec deux autres prêtres. Torturé pendant 10 jours consécutifs, il refuse d'abjurer. Il est martyrisé à Edo, l'actuelle Tokyo.
Parmi ses 187 compagnons de martyre, en grande partie des laïcs, on trouve Michel Kusurya, appelé le "bon Samaritain de Nagasaki". Il a gravi la "colline des martyrs", non loin de la ville, en chantant des psaumes. Comme beaucoup, il est mort empalé et brûlé à petit feu.
Nicolas Keian Fukunaga est un autre des futurs bienheureux. Il est mort après avoir été jeté dans un puits de boue. Jusqu'au bout, il aura prié à haute voix, en demandant pardon "pour ne pas avoir amené le Christ à tous les Japonais, à commencer par le shogun".
D'autres martyrs sont morts cloués sur la croix ou découpés en morceaux. Les femmes et les enfants n'étaient pas épargnés lors de ces actes d'une cruauté inouïe. La population catholique a été décimée non seulement par les exécutions, mais aussi par les apostasies de ceux qui abjuraient parce qu'ils avaient peur. Mais elle n'a pas été anéantie pour autant. Une partie de la population a vécu dans la clandestinité et a gardé la foi jusqu'à l'arrivée, deux siècles plus tard, d'un régime plus libéral.
En septembre dernier, le diocèse de Takamatsu a consacré un colloque à un autre des 188 martyrs qui seront béatifiés en 2008. Il s'agit du jésuite Diego Ryosetsu Yuki, qui descend d'une famille de shoguns.
L'un des rapporteurs, le professeur Shinzo Kawamura, de l'université jésuite Sophia de Tokyo, a démontré que tant de catholiques de l'époque tiraient également leur force indomptable de l'esprit communautaire avec lequel ils se soutenaient réciproquement dans la foi. Ils parvenaient ainsi à résister aux tortures et à affronter le martyre. Les catholiques avaient en partie suivi l'exemple des communautés bouddhistes de Jodo Shinshu, la Terre Pure. "Les kumi, les communautés des kirisitan, c'est-à-dire des chrétiens, sont la terre où ont fleuri les 188 martyrs. Au Japon, l'Eglise de cette époque était une véritable Eglise populaire".
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A propos du nouveau livre du cardinal Giacomo Biffi d'où est extraite la citation qui introduit cet article:
> "Ce que j'ai dit au futur pape" avant le dernier conclave (26.10.2007)
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Le journal en ligne, en anglais, de la conférence des évêques du Japon, contenant des informations mises à jour en permanence à propos de la béatification des 188 martyrs:
> Japan Catholic News
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Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Avec mes meilleures salutations.
François de Siebenthal
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