jeudi 19 mars 2009

Incinérateurs. Nanoparticules pires que l'amiante.




http://euroracket.blogspot.com/2008/10/nanomatriaux-le-principe-de-prcaution.html


Les dangers toxiques des nanoparticules

Alain Lombard

Toxicologue, ancien coordinateur des activités toxicologiques chez Arkéma (industrie chimique)

 

Alors que la production mondiale de nanomatériaux croît continuellement, on sait bien peu de choses de leurs effets sur la santé. Pourtant, si les leçons de la catastrophe de l'amiante avaient été tirées - ce dont on peut douter -, la capacité des nanoparticules et des nanofibres à pénétrer le système respiratoire et à interagir avec les cellules aurait dû inciter à décupler les efforts de recherche consacrés à la toxicologie des nanostructures. On en est loin... En attendant mieux, voilà ce que l'on sait des dangers toxiques des nanoparticules. 







Nanotubes
© Haut : Nanoscale Thermo-Fluids Laboratory, Purdue University
Bas : NEC



Avec l'avènement des technologies de l'infiniment petit, la recherche et la production de nanoparticules (particules dont la taille ou le diamètre ne dépasse pas 100 nanomètres, soit 0,1 micron) va augmenter de manière exponentielle dans les prochaines années. Les nanoparticules sont en effet utilisées couramment comme catalyseurs pour les réactions chimiques, pour le polissage de « wafers » et disques durs en microélectronique, etc. Elles peuvent être incorporées dans divers produits : vêtements, cosmétiques, pneus, farts de skis, etc. (1). Elles seront exploitées à l'avenir pour des applications médicales, par exemple comme vecteurs pour transporter des médicaments au niveau des cellules cibles, et à des fins environnementales (voir l'entretien avec Jean-Yves Bottero).

Or l'état des connaissances sur les effets cardiovasculaires, respiratoires et cancérigènes des particules micro et nanométriques de la pollution atmosphérique (2, 3, 4) fait craindre que les nanoparticules fabriquées par l'homme puissent avoir, elles aussi, des conséquences néfastes sur la santé. Les quelques études scientifiques publiées font état d'interactions des nanoparticules avec les cellules, et incitent à la prudence.

 

Un air chargé

L'exposition aux nanoparticules a, certes, toujours existé. L'air que nous respirons contient des quantités très importantes de particules ultrafines naturelles : plus de 10 000 particules supérieures à 10 nm dans 1 cm3 d'air, avec de fortes variations selon la saison ou le degré de pollution industrielle. Dans le monde du travail cette exposition est aussi très ancienne : condensation de fumées émises par des fours métallurgiques, fumées de soudage, fabrication et utilisation de noirs de carbone, de silices amorphes, etc.

Cependant, l'industrialisation des nanotechnologies change la donne puisqu'une très grande quantité de nanofibres et de nanoparticules aux propriétés physico-chimiques très diverses, voire nouvelles, va être produite. Les risques sanitaires qui découlent de cette nouvelle ère concernent aussi bien les travailleurs du secteur, qui peuvent être exposés de manière chronique à des quantités importantes de nanoparticules, que la population en général, dont l'exposition est plus indirecte.

En hygiène du travail, on a longtemps évalué le risque résultant de l'exposition aux « poussières » en fonction de leur concentration dans l'atmosphère inhalée par le travailleur (mg/m3). Mais les moyens de protection utilisés pour les poussières micrométriques ne sont pas efficaces pour les nanoparticules, qui ne sont pas retenues par les filtres classiques. Chaque type de nanoparticule est une entité particulière, avec un comportement physicochimique, toxicologique et environnemental spécifique, pour lequel il faut trouver et mettre en œuvre des moyens de contrôle et de protection adaptés. Prévenir les risques liés à l'exposition à des nanoparticules implique aussi de caractériser leurs propriétés physico-chimiques et de les classer selon leur degré de réactivité de surface. Il faut ensuite déterminer leurs effets biologiques sur les cellules et les organes.

 

Le poumon en première ligne

D'après les connaissances toxicologiques actuelles, les nanoparticules de l'air se déposent dans les voies pulmonaires, notamment dans le poumon profond, en proportion nettement supérieure à celle de particules de plus grosse taille. Plus l'activité physique est importante, plus le dépôt pulmonaire est grand.



Günter Oberdörster, l'un des pionniers des études toxicologiques sur les particules ultrafines
© G. Oberdörster

Les études expérimentales menées par de groupe de Günter Oberdörster (université de Rochester, Etat de New York) dans les années 1980 et 1990 ont constaté que des nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2) ont la propriété de pénétrer l'épithélium pulmonaire, de passer dans les circuits lymphatiques et de s'accumuler progressivement dans les ganglions lymphatiques les plus proches (5, 6). Une distribution systémique dans tous les organes (foie, rein, cœur, cerveau) par la circulation sanguine a également été mise en évidence. Cette pénétration est favorisée par la petite taille des particules et par leur nombre dans l'air ambiant, ainsi que par l'intensité de l'inhalation.

D'après les travaux plus récents d'Oberdörster chez le rat et de sa fille Eva (Southern Methodist University, Dallas) chez un poisson, les nanoparticules pourraient même parvenir au cerveau en suivant le trajet du nerf olfactif (7, 8). Par ailleurs, la capacité des nanoparticules à traverser la barrière cutanée reste controversée.

Quel est le mécanisme d'action des nanoparticules ? Leur action sur les cellules de l'organisme est variable : elle dépend de la nature chimique des particules, ainsi que de leur état physicochimique de surface. Selon leur nature, les nanoparticules ne pénètrent pas l'interstitium alvéolaire de façon similaire : par exemple, environ 50 % de la dose pour le dioxyde de titane, et seulement 4 % pour le noir de carbone (9). De même, la « réactivité de surface » intervient dans la toxicité des nanoparticules (10), ainsi que la capacité des particules à libérer des radicaux libres (11), ou encore à porter des impuretés superficielles ou des métaux biodisponibles (12, 13).

Cela peut se traduire par des réactions inflammatoires localisées, et l'émergence de modifications génétiques des cellules atteintes pouvant évoluer vers un dysfonctionnement plus ou moins important des organes touchés, voire en cancer. Dans les poumons, les réactions inflammatoires peuvent dégénérer en fibrose, qui se traduit par une diminution de la capacité d'échanges gazeux des alvéoles pulmonaires et une diminution de la fonction respiratoire ou de l'asthme.

Oberdörster a émis l'hypothèse que l'incidence des tumeurs pulmonaires observées dans certaines études animales est liée à la surface totale des particules présentes dans les poumons, plus qu'à leur nombre (14). Une hypothèse toutefois contredite récemment par des chercheurs du DuPont Haskell Laboratory for Health and Environmental Sciences (Newark) (15).

 

 

Nanotubes : péril à demeure

Le risque majeur actuellement identifié est celui que représentent les nanotubes de carbone et les fullerènes, en raison de leur production industrielle déjà importante dans les pays industrialisés. L'instillation dans la trachée chez le rat de nanotubes de carbone monofeuillets (single-wall carbon nanotubes, SWCNT) mais aussi de nanotubes multifeuillets (Multi-wall carbon nanotubes, MWCNT), plus épais, provoque l'apparition dans le poumon de granulomes (lésions inflammatoires) et d'une fibrose (transformation fibreuse du tissu épithélial) (16, 17, 18).




Tissu pulmonaire de souris ayant reçu 0,5 mg de particules dans la trachée, observé au bout de 90 jours.
(A) Noir de carbone. Les particules sont dispersées dans les alvéoles. (B) Quartz. La flèche montre un agrégat de lymphocytes autour de macrophages contenant des particules de quartz. (C) Nanotubes de type CarboLex. Granulomes contenant des particules noirâtres. (D) Nanotubes bruts. Granulomes à petit grossissement. (E) Nanotubes bruts. Un granulome à fort grossissement. (F) Nanotubes purifiés. Un grand granulome dégénéré et nécrosé.
© 2004 by the Society of Toxicology, Toxicological Sciences 77, 126-134 (2004), Chiu-Wing Lam et al., Pulmonary Toxicity of Single-Wall Carbon Nanotubes in Mice 7 and 90 Days After Intratracheal Instillation.


Selon l'équipe d'Anna Shvedova et Paul Baron, du National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH, Etats-Unis), le mécanisme de fibrose tiendrait à une activation directe de cellules fibreuses (fibrocytes) pulmonaires par les nanotubes (19). Les effets inflammatoires seraient dus à la présence d'impuretés chimiques (nanofibres, nanoparticules de carbone, métaux catalyseurs) dérivant des processus de production des nanotubes (20).

On a pu craindre que les nanotubes de carbone aient un comportement similaire à l'amiante ou d'autres fibres minérales du fait de leur très faible diamètre (< 100 nanomètres) et de leur grande longueur (quelques millimètres). En fait, ces nanotubes flexibles s'agglomèrent en pelotes dans les alvéoles pulmonaires, et se trouveraient ainsi dans l'impossibilité de traverser la plèvre. Mais cette agglomération augmente leur persistance dans les poumons, et par là même facilite l'initiation de leur effet fibrosant potentiel.

Les nanotubes de carbone ont été évalués également pour leur toxicité vasculaire. Chez la souris, l'équipe de Tony Huang (Université de Caroline du Nord, Chapel Hill, et National Health and Environmental Effects Research Laboratory, EPA) a observé une augmentation, dépendante de la dose instillée, de l'altération de l'ADN mitochondrial dans l'aorte, et une altération des gènes impliqués dans l'inflammation dans les cellules cardiaques (21). Des études in vitro avec des cellules endothéliales aortiques humaines montrent que l'exposition pendant deux heures à des nanotubes de carbone entraîne une augmentation de l'expression de nombreux gènes et une oxydation dose-dépendante des lipoproteines de faible densité (LDL). Ces résultats font penser que les nanotubes de carbone pourraient créer directement ou indirectement une prédisposition à la formation de plaques d'athérome (22).

 

Un danger sous-estimé ?

Les effets toxicologiques observés s'appliquent en particulier aux nanoparticules et nanotubes « libres ». Leur piégeage dans une matrice (polymère, composite, nanostuctures électroniques, etc.) rend les risques d'exposition très faibles, voire nuls pour les populations. Le risque se concentrerait sur les personnels de laboratoire et de production qui manipulent ces nanoparticules « libres ». Mais des incertitudes persistent quant à l'exposition des populations par l'environnement lors de la dégradation de ces matrices ou du traitement des déchets, ou encore via la chaîne alimentaire – via les poissons par exemple (8) - si ces nanoparticules sont bio-accumulables et bio-persistantes.

Paradoxalement, il y a peu de travaux probants dans le domaine de la caractérisation physicochimique et de la toxicologie des nanoparticules et des nanomatériaux. Les études publiées montrent des résultats contrastés selon le type de réactif biologique étudié, ainsi que la pureté et la qualité des nanoparticules et nanomatériaux utilisés. Dans la course mondiale à l'innovation, les dangers potentiels de ces derniers pour la santé et l'environnement sont étudiés en même temps qu'ils sont découverts, développés et commercialisés. De plus, les budgets consacrés à l'évaluation des risques restent infimes en proportion des sommes allouées au développement des nanomatériaux ; par exemple aux Etats-Unis, pays le plus avancé sur la question, le gouvernement fédéral y consacrera 40 millions de dollars en 2006 alors que le budget de l'Initiative nationale sur les nanotechnologies (NNI) dépasse 1 milliard de dollars.

Cette situation où l'on « apprend en faisant » ne laisse malheureusement pas beaucoup de marge de sécurité, ni de possibilité de retour en arrière en cas d'apparition d'un problème de santé ou d'environnement majeur.


Références

(1) « A nanotechnology consumer products inventory », http://www.nanotechproject.org/index.php?id=44
(2) C.A. Pope 3rd et al. (2002) Lung cancer, cardiopulmonary mortality, and long-term exposure to fine particulate air pollution, JAMA 287(9):1132-41.
(3) R.J. Delfino et al. (2005) Potential Role of Ultrafine Particles in Associations between Airborne Particle Mass and Cardiovascular Health, Environ Health Perspect. 113(8), August 2005
http://www.ehponline.org/members/2005/7938/7938.html
(4) L. Filleul et al. (2005) Twenty five year mortality and air pollution: results from the French PAARC survey, Occup Environ Med. 62(7):453-60.
(5) J. Ferin, G. Oberdörster (1985) Biological effects and toxicity assessment of titanium dioxides: anatase and rutile, Am Ind Hyg Assoc J. 46(2):69-72.
(6) J. Ferin et al. (1992) Pulmonary retention of ultrafine and fine particles in rats, Am J Respir Cell Mol Biol. 1992 May;6(5):535-42.
(7) G. Oberdörster et al. (2004) Translocation of inhaled ultrafine particles to the brain, Inhal Toxicol. 16(6-7):437-45.
(8) E. Oberdörster (2004) Manufactured nanomaterials (fullerenes, C60) induce oxidative stress in the brain of juvenile largemouth bass, Environ Health Perspect. 2112(10):1058-62.
http://www.ehponline.org/members/2004/7021/7021.html
(9) G. Oberdörster et al. (1992) Role of the alveolar macrophage in lung injury: studies with ultrafine particles, Environ Health Perspect. 97, 193-9.
(10) A. Nel et al. (2006) Toxic potential of materials at the nanolevel, Science 311(5761):622-7.
(11) C.A. Dick et al. (2003) The role of free radicals in the toxic and inflammatory effects of four different ultrafine particle types, Inhal Toxicol. 15(1):39-52.
(12) A.E. Aust et al. (2002) Particle characteristics responsible for effects on human lung epithelial cells, Res Rep Health Eff Inst. 110:1-65.
(13) Y.C. Huang et al. (2003) The role of soluble components in ambient fine particles-induced changes in human lungs and blood. Inhal Toxicol. 15(4):327-342.
(14) G. Oberdörster (1996) Significance of particle parameters in the evaluation of exposure-dose-response relationships of inhaled particles, Inhal Toxicol. 73-89.
(15) D.B. Warheit et al. (2006) Pulmonary Instillation Studies with Nanoscale TiO2 Rods and Dots in Rats: Toxicity is not Dependent Upon Particle Size and Surface Area, Toxicol Sci. 2006 Feb 22.
(16) D.B. Warheit et al. (2004) Comparative pulmonary toxicity assessment of single-wall carbon nanotubes in rats, Toxicol Sci. 77(1) 117-25.
http://toxsci.oxfordjournals.org/cgi/content/full/77/1/117
(17) C.W. Lam et al. (2004) Pulmonary toxicity of single-wall carbon nanotubes in mice 7 and 90 days after intratracheal instillation, Toxicol Sci. 77(1) 126-34.
http://toxsci.oxfordjournals.org/cgi/content/full/77/1/126
(18) J. Muller et al. (2005) Respiratory toxicity of multi-wall carbon nanotubes, Toxicol Appl Pharmacol. 207(3):221-31
(19) A.A. Shvedova et al. (2005) Unusual inflammatory and fibrogenic pulmonary responses to single-walled carbon nanotubes in mice, Am J Physiol Lung Cell Mol Physiol. 289(5):L698-708.
(20) K. Donaldson et al. (2006) Carbon Nanotubes: a Review of Their Properties in Relation to Pulmonary Toxicology and Workplace Safety, Toxicol Sci. 2006 Feb 16.
(21) Z. Li et al. (2005) The Toxicologist 84:A1045.
(22) Z. Li et al. (2004) Free Radical Biol Med. 37(1):S142.



Pour en savoir plus

Commission européenne (2004) Nanotechnologies : Preliminary Risk analysis on the Basis of a Workshop organized in Brussels on 1-2 March 2004 by the Health and Consumer Protection Directorate General of the European Commission. Version pdf

SCENIHR (Commission européenne), rapport de septembre 2005, version pdf

Rice University, CBEN

Swiss-Re (2004) Nanotechnology – Small matter, Many unknowns, version pdf

R.J. Aitken et al. (2004) Nanoparticles: An occupational hygiene review research. Report 274 prepared by the Institute of Occupational Medecine, HSE, Royaume-Uni, version pdf

Note de synthèse pour le Plan National Santé Environnement Nouvelles perspectives de recherches (2005) Les déterminants environnementaux : « Nanoparticules et santé ». Jorge Boczkowski (INSERM), Eric Gaffet ( CNRS), Alain Lombard (ARKEMA), Coauteurs: Benoît Hervé-Bazin (INRS), Christophe Proust (INERIS), François Tardif (CEA), Olivier Witschger (INRS), version pdf

B. Hervé-Bazin (2006) Nanoparticules : nanorisques ?, Institut national de recherche et de sécurité (INRS - Vandoeuvre), Journée de sensibilisation CNRS, Meudon, 13 janvier 2006, version pdf

Characterising the potential risks posed by engineered nanoparticles. A first UK Government research report, Department for Environment, Food and Rural Affairs, 2005, version pdf

G. Oberdörster et al. (2005) Nanotoxicology: An Emerging Discipline Evolving from Studies of Ultrafine Particles, Environ Health Perspect. 113(7):823-39.
Version html 
Version pdf 

G. Oberdörster et al. (2005) Principles for characterizing the potential human health effects from exposure to nanomaterials: elements of a screening strategy, Part Fibre Toxicol. 2:8

R. Hardman (2006) A toxicologic review of quantum dots: toxicity depends on physicochemical and environmental factors, Environ Health Perspect. 114(2):165-72.

PHM Hoet et al. (2004)  Nanoparticles – known and unknown health risks, Journal of Nanobiotechnology 2004, 2:12.

W. Luther (ed) (2004) Industrial application of nanomaterials – chances and risks. Technology analysis. Version pdf

C. Ostiguy et al. (2006) Les nanoparticules : connaissances actuelles sur les risques et les mesures de prévention en santé et en sécurité du travail, Études et recherches / Rapport  R-455, IRSST, Canada, 90 p. Version pdf

C. Ostiguy et al. (2006) Les effets à la santé reliés aux nanoparticules, Études et recherches / Rapport  R-451, IRSST, Canada, 55 p. Version pdf

M. Ravaud (2005) Risques : qu'en pensent les scientifiques ?, Le Journal du CNRS

O. Witschger, J.-F. Fabriès (2005) Particules ultra-fines et santé au travail - Sources et caractérisation de l'exposition, Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Version pdf

Le nanodéveloppement sous surveillance, Travail et Sécurité, INRS.



Sites Internet


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