jeudi 4 février 2010

Clearstream, page 77 et ss.

http://pavie.ch/file/clearstream-jugement.pdf


http://union-ch.com/file/clearstream-jugement.pdf


Page n 77


Jean-Louis SZUBA, directeur de la sécurité de l'information
d'EADS France, était également entendu. Il précisait qu'il avait eu des contacts avec Philippe LAFLANDRE et qu'à partir du mois de janvier 2005, il avait manifesté son étonnement de voir confier des responsabilités à Imad LAHOUDqu'il décrivait comme un hacker "incontrôlable et immature au regard des enjeux" (D4471/5).

Entendu à son tour le 14 octobre 2005, Philippe LAFLANDRE expliquait avoir eu un premier entretien avec Imad LAHOUD enjanvier précédent au cours duquel celui-ci lui avait fait part de ses inquiétudes parrapport à son avenir chez EADS. Il ajoutait que, sur l'affaire du corbeau, ImadLAHOUD lui avait très rapidement confié, de façon spontanée, "ne pas avoir deresponsabilité car, à la demande de M. GERGORIN, il n'avait que chercher unlisting en utilisant ses compétences de hacker sur Internet et a remis le listing à

M. GERGORIN" (D476/2). Lors de leur rencontre du 23 mars 2005, PhilippeLAFLANDRE n'avait pu que conseiller de dire la vérité sur cette affaire à ImadLAHOUD qui lui faisait de nouveau part de ses craintes quant à son avenirprofessionnel. Philippe DELMAS avait d'ailleurs demandé à PhilippeLAFLANDRE de le rassurer. Il contestait avoir exercé la moindre pression surImad LAHOUD. Il niait également avoir parlé à Imad LAHOUD du GénéralRONDOT dont il avait découvert le nom par la presse.
b) La lettre adressée par Denis ROBERT à Imad LAHOUD le 16 janvier 2006

Par lettre du 23 janvier 2006, le conseil d'Imad LAHOUDavait informé le magistrat instructeur de la réception par son client d'un courrierde la part de Denis ROBERT, auquel était joint un exemplaire de l'ouvrageintitulé "La domination du monde" du même auteur (D519), ce qui provoquaitl'audition en qualité de témoin de Denis ROBERT par les juges d'instruction le15 mars 2006 (D585), ce dernier ayant déjà été entendu le 21 octobre 2005 par lesenquêteurs dans le cadre de la commission rogatoire.

Denis ROBERT précisait les circonstances dans lesquelles ilavait fait la connaissance d'Imad LAHOUD en février ou mars 2003, à la sortie
de prison de ce dernier. Imad LAHOUD prétendait connaître parfaitement lesystème de clearing, en tant qu'ancien broker et lui offrait son aide dans ses
recherches sur CLEARSTREAM et à l'occasion de ses procès en diffamation.

A cette occasion, Denis ROBERT affirmait qu'il avait étéamené à remettre à Imad LAHOUD, en présence de Pascal LORENT, à Metz, un
CD-rom et d'autres documents internes CLEARSTREAM, ainsi que desphotocopies de microfiches.

Par la suite, devant lui, Imad LAHOUD avait toujours nié êtrel'auteur des listings CLEARSTREAM, évoquant de façon persistante l'hypothèsed'un hackeur. Il indiquait qu'Imad LAHOUD, responsable sécurité informatiquechez EADS, se situait sous l'autorité de Jean-Louis GERGORIN et se montrait
fuyant dès que le sujet de ses relations avec ce dernier était abordé.

Entre septembre et décembre 2003, Imad LAHOUD lui avaitdit travailler pour la DGSE, et plus particulièrement pour Alain JUILLET et le

o

Page n 78


Jugement n•
1

Général RONDOT, revendiquant alors les éminents services rendus en matière delutte contre le terrorisme notamment contre la mouvance AL QAIDA.

En septembre-novembre 2004, Imad LAHOUD s'était ditmenacé, mais protégé par le Général RONDOT qui, par ailleurs, lui avait intimél'ordre de cesser toute relation avec le journaliste.

Denis ROBERT expliquait enfin que le courrier du 16 janvierétait destiné, à la faveur du départ à la retraite du Général RONDOT repris dansla presse, à renouer avec Imad LAHOUD et l'inciter à lui faire des révélations ausujet de l'affaire du corbeau que lui-même envisageait d'utiliser ensuite dans lecadre d'une fiction.

Denis ROBERT indiquait que son ordinateur avait fait l'objetd'une attaque informatique en juin 2005 et soupçonnait Imad LAHOUD d'enavoir été l'auteur.

2- les investigations auprès du Général Philippe RONDOT

a) la découverte des documents, supports de la dénonciation

Compte tenu de cette mise en lumière du rôle du GénéralRONDOT, il était procédé par les deux juges d'instruction à de multiplestransports et perquisitions au cours des mois de mars et avril 2006, et notammentaux domiciles du Général RONDOT, à Meudon (92), le 24 mars, et à Fléty (58),
le 27 mars (D603 et 607).

Au cours de la perquisition effectuée à Meudon, les magistratsinstructeurs découvraient :

- de nombreuses notes manuscrites, dites "verbatim" dans
lesquelles celui-ci retranscrivait le contenu de ses échanges et réunions avecdifférents interlocuteurs (notamment Philippe MARLAND, Michèle ALLIOTMARIE,
Jean-Louis GERGORIN, Dominique de VILLEPIN, Imad LAHOUD etdes fonctionnaires en poste à la DGSE) accompagné de ses observations etcommentaires (scellés RONDOT MEUDON et RONDOT CHANAUX). Il
s'agissait de pages de format A 4, toutes numérotées, sur lesquelles était collée
la reproduction en format réduit de pages extraites de son journal de marchequotidien qui reprenait quotidiennement, heure par heure, les réunions ou faitsqu'il avait vécus et qu'il voulait garder en mémoire. La réalité de ces réunions etentretiens téléphoniques était corroborée par les mentions figurant dans lesagendas de l'intéressé. Selon leur auteur, tous ces verbatim avaient été établis "en
temps légèrement décalé sur [ son] journal de marche, c'est-à-dire dans lesheures qui suivent l'événement" qu'ils relatent (D266617 et D2666/8) (D2714/11).
- diverses notes personnelles référencées "DEF/CROS" àdestination de Philippe MARLAND et de Michèle ALLIOT-MARIE, relatives àses investigations dans l'affaire CLEARSTREAM (désignée sous le nom de code
o

Page n 79


"REFLUX") et au traitement des informations fournies par Imad LAHOUD autitre de la lutte anti-terroriste ("opération MADHI").

- quatre notes internes, notes d'étapes, intitulées "opérationREFLUX" retrouvées à l'occasion des opérations d'expertise de la carte mémoiredu disque dur de son ordinateur de marque HP type "iPaq" (D2698).
Parmi les très nombreux documents ainsi appréhendésfiguraient des documents relatifs à la chambre de compensation CLEARSTREAMremis au Général RONDOT ainsi qu'en attestaient ses notes de ce dernier et cecià compter du 1er octobre 2003 (scellé Rondot Meudon 6 : note sur la chronologiede l'affaire CLEARSTREAM comportant la mention: "01.10.03 JLG m'informe"
-D2566/2).

L'une de ces notes, sur laquelle le Général RONDOT avait
inscrit la mention "Remise par JLG le 23.11.03" comportait un texte similaire àcelui parvenu à la connaissance du magistrat Renaud VAN RUYMBEKE en mai
2004 (D859/30).

Ce document était ainsi rédigé :

"En 1989 WANG CHUAN POO découvre les bienfaits de la chambre de
compensation Cedel,
Il y ouvre, en tant que bénéficiaire ultime, deux comptes non publiés(2) le
12/07/1989."


Il s'agissait des comptes :

- C0043 de type "Reserved Mailbox Account",
- C0044 de type "Dual" ayant correspondant bancaire laBank of Overseas Chinese à Taïwan (ce compte n° 32-704623 à la même banqueavait été clôturé le 13 octobre 1993).
"Après 1989, WANG CHUAN POO ouvre une série de comptes "dual" chezCedel avec des correspondants bancaires dans des paradis fiscaux et financiers(5). En 1991, WANG CHUAN POO développe des liens avec des narco-traficantsen Colombie comme le démontre ses liens financiers avec le milieu par le biais ducompte "dual" n° 82313 ayant pour banque correspondante Citibank (Cititrust)
à Bogota en Colombie.

En 1992, Alain GOMEZ est initié à ce système financier parWang Chuan Poo. Il s'agit pour Alain GOMEZ d'un excellent moyen de blanchirses rétro-commissions. Le 14/10/1992, Wang Chuan Poo ouvre pour AlainGOMEZ un compte "dual" n°83656 chez Cedel (...) A son ouverture, ce compteétait crédité par le compte C0043 d'un montant de 1.000.000 $US. Jusqu'en 1994crédits parWang Chuan Poo d'environ 125 000 000 USD.

En 1994, Alain GOMEZ ouvre une série de comptes chezCedel. Il en garde une partie pour son usage personnel et dans le cadre d'unegrande cooptation à la fois mafieuse et affairiste, attribue plusieurs d'entre euxà des parrains du milieu (voir tableau 1).Les comptes de ces personnes sontsystématiquement crédités par les comptes d'Alain GOMEZ ou, à la demande dece dernier, par les comptes de son proche, Pierre MARTINEZ. On remarqueraque la Banque Julius Baer apparaît au coeur du dispositif. Les crédits sur les

Jugement n•
1

o

Page n 80


Jugement n•
1

comptes d'Alain GOMEZ sont d'origines diverses à la fois en provenance descomptes de Wang Chuan Poo et de différentes sociétés offshore très
vraisemblablement utilisées comme coquilles dans le cadre d'opérations de rétro-
commissions."

Il ressortait du tableau n°1, à titre des "beneficial owner", les
noms suivants auxquels était affecté un compte numéroté CLEARSTREAM :

- Pierre MARTINEZ,
- Karel SCHMITT,
- Arkadi GAYDAMAK
- Pierre FALCONE
- EURO RSCG
- Alain de WULF
- Georges KIEJMAN
- Jean-Charles MARCHIANI
- Nadhmi AUCHI
- Marc RICH
- Alain MADELIN
"En 1996, Alain GOMEZ opère une deuxième grande cooptation en initiantplusieurs oligarques aux bienfaits des comptes dans des chambres decompensations (voir tableau 2). Clairement, il s'agit d'une initiation de ces
jeunes hommes d'affaires. Ils n'apparaissaient pas avant cette date dans ce
système financier. Les oligarques ouvriront à leurs tours des comptes de ce typepour la gestion de leurs affaires en russie. En échange de cette initiation, lesoligarques agiront plus tard comme banquiers et financiers permanents d'AlainGOMEZ et de ses troupes".

On dénombrait trois personnes dans le tableau n°2 :

- Roman ABRAMOVITCH,
- Mikhaïl KHODORKOVSKI,
- Oleg DERIPASKA.
"En 1999, Alain GOMEZ opère une troisième cooptation qui se traduit parl'arrivée d'un cadre dirigeant d'AIRBUS. Il s'agit de Philippe DELMAS.
Plusieurs autres personnages apparaissent dans ce qui semble ressembler à unegrande entreprise de corruption à dérive maffieuse (voir tableau 3).
Philippe DELMAS prend une importance particulière dans ce dispositif dans lamesure où tout versement venant d'Alain GOMEZ ou des oligarques au bénéficedes lieutenants initiés en 1999 passe quasi systématiquement par ses comptes àlui".

Apparaissaient dans ce tableau n°3 les noms suivants :

- Philippe DELMAS,
- Edin CAYBAN CAYKARA,
- Serge de KLEBNIKOFF,
- Fabien BOSSART,
- Petar MAJOUKOW.
"En 2000, Philippe DELMAS coopte à son tour plusieurs personnes travaillantpour le compte de la nation. Il s'agit essentiellement de hauts fonctionnaires del'administration Française dont une partie jouera un rôle crucial dans la tentative

o

Page n 81


Jugement n•
1

de déstabilisation du chef de l'Etat Jacques CHIRAC (voir tableau 4 et 4bis)".

Apparaissaient dans le tableau n°4 les noms suivants :

- Bernard SQUARCINI,
- Gilbert FLAM,
- Jean-Jacques MARTINI,
- Alain CHOUET,
- Edouard ULMO,
-PRETORY SA,
- Jean-Pierre JOULIN.
tandis que le tableau 4bis regroupait un certain nombre de transactions.
"Par la suite, Philippe DELMAS coopte plusieurs personnes de divers horizonstrès divers dans l'administration, l'industrie et la presse. Il rémunère certainesd'entre elles de manière périodique ou par des primes dans le cadre d'opérationssur commandes (voir tableau 5 et 5bis)".

Apparaissaient dans ce tableau n°5 les personnes suivantes :

- Philippe DELMAS,
- Dov YOFFE,
- le fonds CARLYLE,
- Gérald de ROQUEMAUREL,
- Alain LEMARCHAND,
- Jean-Pierre JOULIN,
- AlimjanTOCHTAKHOUNOV,
- Dominique BAUDIS,
- Laurence DORS,
- Oan OHAD,
- Irène STOLLER,
- Jean-François DUBOS,
- Alexandre JEVAKOFF,
- Thierry DANA,
- Edwy PLENEL,
- Dominique AMBIEL,
- Bernard MAINFROY,
- Jean VEIL.
tandis que le tableau 5bis regroupait un certain nombre de transactions.
"Si la masse financière injectée dans le circuit par les oligarques s'élève à 3Milliards d'euros, on estime à 4 Milliards d'Euros le montant hors oligarquesinjectée dans ce circuit. C'est le fruit de rétro-commissions sur l'attribution demarché dans l'industrie de l'armement et le Narco-Trafic.
Alain GOMEZ reçoit le 9 octobre 2003 sur son compte 83656 un virement de

1.200 Millions de USD de Mikhaïl KHODORKOVSKI (compte numéro :84601).
Alain GOMEZ transfert 225.000.000 Euros au compte 03778 de PhilippeDELMAS. Par le biais du compte 73067, ces 225 Millions sont nantis au profitd'un compte maison chez Julius Baer qui souscrit au nom de la banque dans lefond offshore "Highfields Capital Limited" qui s'est manifesté depuis deux ans parune montée régulière dans le capital de Lagardère dont il était le plus grosactionnaire avec 7% du capital au 30-8-2003."
Etaient joints à cette note, outre les 7 tableaux déjà cités,

o

Page n 82


L 5 annexes ayant trait :
- à l'activité de CLEARSTREAM, chambre de compensation, au regard de ses
statuts,
- aux comptes "RMBA",
- aux comptes "dual",
- aux paradis fiscaux;
L un document manuscrit intitulé "ANNUAIRE CATEGORIEL" (D859/31 etscellé RONDOT MEUDON 7),
L un document intitulé "SYNTHESE (OUTRE LES DEUX FONDATEURS)",
(D859/33
scellé RONDOT MEUDON 7),
L deux pages de listings identifiant une centaine de comptes ouverts chezCLEARSTREAM.
b) la révélation du contexte de cette dénonciation

Il était ensuite procédé à l'audition du Général PhilippeRONDOT en qualité de témoin le 28 mars 2006, celui-ci expliquant avoir reçu cesdocuments des mains de Jean-Louis GERGORIN au cours des mois d'octobre et
novembre 2003.

Il ressortait de cette audition les éléments suivants :

•sur ses relations avec Jean-Louis GERGORIN et Imad LAHOUD :
- il entretenait depuis les années 70-80 des relations avec Jean-
Louis GERGORIN au Centre d'Etudes de Politique Etrangère où il avait étéappelé comme consultant par celui-ci, dirigeant le Centre d'Analyse et dePrévision du ministère des Affaires Etrangères, sur les problèmes avec le mondearabe et musulman ainsi que les organisations radicales palestiniennes ;
- il avait fait la connaissance d'Imad LAHOUD parl'intermédiaire de Jean-Louis GERGORIN à l'époque où lui-même occupait lesfonctions de CROS auprès du Ministre de la Défense en novembre 2002 et aveclequel il avait intensifié ses relations depuis janvier 2003 ;
- à ses yeux Imad LAHOUD pouvait présenter un intérêt dansla lutte anti-terroriste et semblait avoir des connaissances sur les financements des
mouvements radicaux parmi lesquels ceux d'Oussama Ben Laden ;
- l'ayant mis en relation avec la DGSE qui l'avait "traité"
pendant 6 mois, il demeurait toutefois informé des résultats de ses opérations parle biais d'Alain JUILLET devenu depuis Haut responsable au Secrétariat Généralde la Défense Nationale (SGDN) ;
- à l'issue, il avait continué à utiliser les compétences d'ImadLAHOUD et sa connaissance du réseau BEN LADEN, en lui confiant des
recherches sur les financements des réseaux de criminels de guerre en Bosnie enseptembre octobre 2003, alors qu'Imad LAHOUD poursuivait ses activités deconsultant d'EADS.
Jugement n•
1

o

Page n 83


Jugement n•
1

• sur la dénonciation:
Le Général RONDOT exposait qu'au début novembre 2003,
une rumeur circulait au sujet d'une liste de personnalités et de fonctionnaires ayantbénéficié de rétro-commissions dans l'affaire des Frégates. Au cours d'uneconversation dans son bureau au ministère de la Défense, le sujet était évoqué parJean-Louis GERGORIN qui lui confirmait cette rumeur et lui remettait un listinginformatisé comportant des numéros de comptes, des noms de titulaires, lamention d'entrée et de sortie de fonds et de mouvements. Ce listing faisait 2 ou3 pages (D610-4).

Ayant eu ce document en mains, il avait pu constater qu'yfiguraient une centaine de noms parmi lesquels des hommes politiques(Dominique STRAUSS-KAHN, Laurent FABIUS, Alain MADELIN), des hautsfonctionnaires (le Général HEINRICH, Jean-Jacques MARTINI, BernardSQUARCINI, Gilbert FLAM, Alain CHOUET, Serge de KLEBNIKOFF), desindustriels (Alain GOMEZ, Philippe DELMAS et Pierre MARTINEZ, Jean-PierreJOULIN) et des personnalités diverses ( Alizée JACOTET et Laetitia CASTA).

Il avait également constaté qu'étaient mentionnés des nomsde personnes russes, suisses, italiennes, ou des noms de sociétés étrangères.

Si le nom de CLEARSTREAM n'apparaissait pas sur ledocument, Jean-Louis GERGORIN lui avait alors précisé qu'il s'agissait decomptes ouverts chez CLEARSTREAM aux noms d'Alain GOMEZ, ancienprésident de THOMSON et, principalement, de Philippe DELMAS, n°2
d'AIRBUS.

Le listing contenait une liste de mouvements financiers venantcréditer ou débiter ces comptes pour ensuite en créditer divers autres ouverts dansdifférentes banques françaises, suisses ou italiennes.

Il avait rendu compte à Philippe MARLAND de la teneur deces informations livrées par Jean-Louis GERGORIN et des documents que celui-
ci lui avait remis. Le Général RONDOT avait obtenu l'autorisation d'en vérifier
l'exactitude en ce qui concernait le personnel de défense et Jean-Jacques
MARTINI.

Par ailleurs, Imad LAHOUD lui avait fourni dans son bureau
les listes de transactions sur lesquelles apparaissaient les noms de Gilbert FLAMet Jean-Jacques MARTINI.

Imad LAHOUD et Jean-Louis GERGORIN avaient poursuivile processus d'information mais le principal informateur était LAHOUD(D2666/10). Il semblait très informé de "l'affaire japonaise", connaissantl'implication de Gilbert FLAM et Alain CHOUET. Quant à Jean-Louis
GERGORIN, il en avait eu connaissance par Jean-Louis COUSSSERAN (anciendirecteur de la DGSE).

Selon le Général RONDOT, Jean-Louis GERGORIN
paraissait persuadé de l'authenticité des informations remises par sa source ImadLAHOUD qui les avait obtenues par pénétration du système informatique de

o

Page n 84


CLEARSTREAM. Il avait pris conscience que cela devenait important quand ilavait été convoqué par Dominique de VILLEPIN, le 4 ou 5 janvier suivant.

C - L'analyse des données fondant les dénonciations

1-Les constatations d'Yves BAGUET

Agissant sur commission rogatoire, les enquêteurs de la DNIFprocédaient le 29 mai 2006 à l'audition d'Yves BAGUET, Managing DirectorInformatique de la société CLEARSTREAM à Luxembourg (D938).

Lui étaient présentés :

-le listing placé sous la cote D119 (dénonciation du 3 mai 2004),
-le listing placé sous la cote D123 (dénonciation du 14 juin 2004),
- un fichier informatique intitulé "DS_PROD_ACCOUNT" , supportant ladernière date de modification du 27 juillet 2004 sous les versions "access" et"excel"(scellé n°1 du PV du 26 août 2004),
- un fichier informatique contenu dans un répertoire"envoi simple" créé le 15septembre 2004 intitulé "extrait-03778", extrait-90762", avec une dernière
modification le 30 septembre 2004 (scellé unique du PV du 5 octobre 2004).
Il ressortait de cette audition que, selon le témoin, les listings,
supports des dénonciations incriminées, étaient issus des données
CLEARSTREAM mais avaient été altérés ou modifiés.

A cette occasion, diverses incohérences étaient relevées :

- les identifiants des sociétés clientes ou de contreparties ou de comptes internescommençaient par un "9" pour la société Euroclear, par un "E" pour la sociétéIbeclear, le dépositaire central espagnol, le "7" et le "5" pouvant être des clientsCLEARSTREAM.
- le compte C0043 était un compte client participant du dépositaire italien et nond'un client de CLEARSTREAM /RMBA ;
- le compte 82313 était attribué à Cititrust Bogota Colombia sans aucune référenceà Alain GOMEZ ;
- le compte 83656 ouvert en 1999 n'avait pas davantage de lien avec cette
personne.
Il était en outre précisé que la "code-list" (comprenant la listedes banques dépositaires, des clients, des participants en Euroclear, les clients dudépositaire central allemand, et les codes de contreparties domestiques, soit lesparticipants auprès de tous les dépositaires centraux de tous les pays avec lesquelsCLEARSTREAM avait un compte correspondant) était envoyée aux clients deCLEARSTREAM, puis était consultable par eux sur le site et cela jusqu'enjanvier 2005, quand un code d'accès fut institué.

Sur le 2ème listing (du 14 juin), Monsieur BAGUET relevait
que :

- pour le compte N0055, dont le statut "n" signifiait qu'iln'était pas publié alors que par sa nature de contrepartie domestique hollandaiseil devait être publié et avoir le statut "y";
Jugement n•
1

o

Page n 85


Jugement n•
1

- pour les comptes 03638, 03637 et 03639, figurant en page13 du listing, les comptes commençant par "0" correspondaient à une techniquede contrôle interne (technique de l'"Umbrella crédit") mise en place en août 2003et demeurée confidentielle ; l'utilisation de ce "0" étant incompatible avec lamention d'un nom de personne en regard de l'intitulé du compte ;
- les comptes C0723 et C0724 correspondaient à descontreparties du dépositaire central italien alors qu'ils étaient situés en Turquie ;
- la clôture de tous les comptes à une même date (le 12 mai2004) apparaissait très improbable ;
- un compte (D123/20) était référencé sur quatre caractères(3881) au lieu de cinq.
2 - la communication au procureur de la République et l'enquêtepréliminaire qui a suivie

Le 13 juillet 2004, Renaud VAN RUYMBEKE communiquait auProcureur de la République les premiers éléments parvenus en sa possessionsusceptibles d'être inclus dans les dénonciations anonymes :

- le premier courrier du 3 mai 2004,
- le second courrier anonyme arrivé le 14 juin 2004 avec une liste de comptesCLEARSTREAM, et diverses auditions et transports.
Le procureur de la République adressait le même jour aux autoritésluxembourgeoises une demande d'entraide judiciaire afin de vérifier la crédibilitéet l'authenticité des données communiquées par le magistrat instructeur, dans lapartie échappant à la saisine de ce dernier :

- faits de 1994 et au-delà dénoncés dans le premier écrit,
- un deuxième envoi reçu par le juge d'instruction le 9 juin 2004 sous laforme d'un CD-Rom qui lui avait été adressé sous la forme anonyme depuis Lyon,
- un troisième envoi anonyme reçu le 14 juin 2004 composé d'une lettresignée "DT" et d'une liste exhaustive de 895 comptes prétendument clôturés à lasuite des premières investigations lancées par le magistrat instructeur.
Cette demande était complétée les 12 août, 28 septembre et 4 novembresuivants Il était alors mentionné la réception par le juge d'instruction, le 20 août2004, d'un nouvel envoi anonyme sous la forme d'un CD-Rom.

Les autorités luxembourgeoises portaient ainsi à la connaissance duprocureur de la République de Paris les éléments suivants :

L les comptes 03637 (Jean-Pierre CHEVENEMENT), 03639 (Philippe DOURY),
37034 (Gérald de ROQUEMAUREL),37035 (Alain LEMARCHAND), 37067(Jean Pierre JOULIN) et 37070 (Mme HOMA K ZAND), de même que laréférence 9DTVE (attribuée à Gilbert FLAM) n'avaient pas existé chezCLEARSTREAM au cours des 10 dernières années.
L le format du document du 20 août correspondait au format d'informationsstockées dans le système DATASERVER de CLEARSTREAM BANKING, dontl'accès était restreint à un nombre limité d'employés, mais laissait apparaîtreplusieurs modifications externes :
• les intitulés (zone "ACCT_NM") avaient été modifiés pour 5 comptes ;
o

Page n 86


• la colonne intitulée "ACCT_STATUS_ FLG" indiquait pour certainscomptes une lettre "N" ou "E" alors que les seuls paramètres possibles étaient leschiffres "0" et "1" ;
• les dates de création (zone "CREATION_ DT") étaient antérieures au 31octobre 1994 ce qui ne correspondaient pas aux dates figurant dans les donnéesinformatiques de la banque ;
• les dates des dernières mises à jour (zone "LST_UPDATE") de plusieurscomptes étaient postérieures pour plusieurs d'entre elles à la date de clôture (zone"END_DATE").
Il était également confirmé que les comptes CLEARSTREAM nepouvaient être ouverts au nom d'une personne physique mais uniquement au nomd'un client de la chambre de compensation ne pouvant être qu'une banque ouorganisme financier.

De plus, il était indiqué que la pratique des "Reserved Mail Box Account"
correspondait à des comptes normaux répondant à des besoins précis de clientsbelges et n'avait aucun rapport avec les "holdmail Account".

Le procureur de la République décidait de classer sans suite la diteprocédure le 29 août 2005 au motif de "l'absence d'infraction".

Les pièces d'exécution étaient versées au présent dossier d'information le18 mai 2006.

L'ensemble des éléments précités provoquait l'extension, par réquisitoiresupplétif du 31 mai 2006, de la saisine des magistrats instructeurs aux faits de fauxet usage de faux (D933).

3 - les investigations réalisées par le juge d'instruction dans le cadrede l'information des Frégates de Taïwan

Alors que les éléments rassemblés jusque- là dans le dossier des Frégatesde Taïwan conduisaient à penser que CLEARSTREAM pouvait héberger descomptes dans l'intérêt du dénommé WANG et était susceptible d'être utiliséepour le blanchiment d'opérations illicites, Renaud VAN RUYMBEKE avait lui-
même fait procéder à diverses vérifications auprès de la chambre de compensationluxembourgeoise ainsi que des banques étrangères en Suisse, en Italie, à Chypre,
en Colombie et en France, notamment auprès de BNP PARIBAS, afin de vérifierl'exactitude des données reçues en ce qu'elles étaient en rapport avec l'objet deson information.

a) auprès des autorités luxembourgeoises chez CLEARSTREAM

Dès le 3 mai 2004, le juge Renaud VAN RUYMBEKE délivrait auxautorités luxembourgeoises une première commission rogatoire internationale auxfins de rechercher et d'identifier les comptes dont les dénommés Chuan Pu

Jugement n•
1

o

Page n 87


Jugement n•
1

Andrew WANG et ses "proches", ainsi que Alain GOMEZ, Pierre MARTINEZet Philippe DELMAS, avaient été les ayants droit économiques, les titulaires oumandataires de comptes auprès de CLEARSTREAM et qui auraient étédestinataires des commissions versées par Thomson ayant le cas échéant transité
par ces comptes :

- comptes C0043, C0044 et 82313 attribués à Chuan Poo WANG,
- comptes 83656 et 73067 attribués à Alain GOMEZ,
- compte 03778 attribué à Philippe DELMAS (compte correspondant chezJULIUS BAER à Genève prétendument lié à un compte Highfields Capital
Limited).
Le même jour, un courrier complémentaire élargissait les investigations àcertains comptes nommément cités :

- compte E3521, 73067 au nom de Pierre MARTINEZ,
- comptes 87032 , C2059, 9DTVU, 9DTVE et C2071 au nom d'Alain GOMEZ.
Le 7 mai 2004 (D2845), il ressortait des perquisitions et auditionsdiligentées au Luxembourg, dont le résultat n'était communiqué aux jugesd'instruction saisis de la présente procédure, sur demande de leur part, qu'enfévrier 2006 (D527), les éléments suivants :

• sur la définition du clearing-settlement :
Il ressortait de ces éléments d'information que CLEARSTREAMBANKING cumulait les fonctions de dépositaire central et d'organisme declearing. L'interconnexion informatique de ces deux types d'organismesconstituait un système de règlement-livraison (clearing-settlement). Ce systèmeprocédait au dénouement des transactions boursières suite aux instructions de sesparticipants (banques, courtiers).

Ainsi, comme dépositaire central, elle conservait des valeurs mobilièrespour le compte de ses clients et exécutait les livraisons sur instruction de cesderniers ou bien d'organismes de compensation (par exemple "MONTE TITOLI"
en Italie). Comme organisme de clearing, elle rapprochait les instructions d'achatet de vente des intermédiaires financiers pour déterminer valeur par valeur lessoldes nets des titres et espèces, procédant ainsi à la compensation desmouvements sur lesdites valeurs.

Il était indiqué que la société CLEARSTREAM BANKING ne faisait pasde transfert de fonds (cash) entre personnes physiques.

En ce qui concerne les personnes morales, CLEARSTREAM BANKINGn'effectuait pas en général de transfert de fonds entre ces personnes morales sanscontreparties sous forme de titres.

Il était noté que CLEARSTREAM n'était pas en possession des documentstraditionnels identifiant le bénéficiaire économique mais détenait les procurationsaccordées uniquement à des personnes morales.

• sur les publications de CLEARSTREAM :
CLEARSTREAM publiait régulièrement une sorte d'annuaire (directory)
reprenant l'ensemble des comptes de ses clients et des contreparties dans lesystème de compensation (comptes publiés). Cet annuaire permettait aux banquesdu monde entier de savoir si une banque correspondante détenait un compteauprès de CLEARSTREAM.

o

Page n 88


Jugement n•
1

Une banque pouvait avoir plusieurs comptes ouverts auprès deCLEARSTREAM et dont certains pouvaient être des comptes non publiés. Ainsi
une banque pouvait-elle détenir un compte publié par lequel passait l'ensembledes transactions avec les contreparties qui utilisaient ce compte, mais égalementdes comptes non publiés correspondant par exemple aux différents fondsd'investissement qu'elle gérait ou encore aux différentes agences faisant partie deson réseau.

Il s'en déduisait qu'un compte non-publié n'était pas synonyme de compteocculte.

Les comptes faisant le lien entre CLEARSTREAM et EUROCLEAR, les"bridge-account", ne pouvaient pas être mouvementés mais permettaient à chaquepartie de faire le lien avec les clients respectifs de sa contrepartie (d'où la nécessitéde disposer de deux comptes "bridge" par opération).

L'organisme de contrepartie au système de compensation de
CLEARSTREAM faisait écran devant sa propre clientèle qui est cependant lebénéficiaire économique ultime d'une transaction sur titre.

En résumé, au terme des investigations luxembourgeoises,
CLEARSTREAM pouvait être perçue comme mettant à disposition de cesparticipants un contenant, sans être en mesure d'exercer un contrôle du contenu.

• sur les modalités d'enregistrement des données chez CLEARSTREAM :
Les numéros de comptes CLEARSTREAM BANKING étaient composésde cinq caractères (chiffres ou lettres), les comptes débutant par 1,2,3,5,7 ou 8étaient des comptes de clients de la société enregistrant les mouvements des titresou avoirs.

Les comptes débutant par une lettre étaient des comptes de contrepartiesdomestiques c'est-à-dire provenant de maison de compensation telles queEURONEXT (France), NECIGEF(Pays-Bas) et MONTE TITOLI (Italie); cesdonnées sont uniquement enregistrées dans la "database" pour information mais
ne constituaient pas des comptes valides de clearing et settlement.

Les comptes débutant par "0" contenaient des informations relatives à deslignes de crédit et ne constituent pas des comptes valides.

• sur la réalité des comptes visés :
Les autorités luxembourgeoises apportaient les réponses suivantes sur laréalité des comptes visés :

- le compte C0043 ressortait comme le compte d'un opérateur domestiqueitalien(lettre C) probablement fermé le 18 février 1993. Ce compte de contrepartieavait été ouvert sous l'intitulé "ADORNO GIOVANNI-STOCKBROKER-
Milan" ;
- le compte C0044 ressortait comme le compte d'un opérateur domestique italien(lettre C), clôturé à une date inconnue (probablement le 6 avril 1993) sousl'intitulé "SOFIR'S-Commissionaria di Borsa -Milan", un nouveau compte ayantété créé sous ce numéro le 9 septembre 2003 sous l'intitulé "BNP PARIBASARBITRAGE" et clôturé le 29 janvier 2004 ;
- le compte C2059, compte d'opérateur domestique italien fermé en 1997 dontl'intitulé était apparemment "Ag.Cambio Pucccini Fabrizio", avait dû être effacéavant 1994 ;
- le compte C 2071 initialement ouvert sous l'intitulé "Ag.Cambio ColombaNicola" n'avait pas existé au cours des dix dernières années ;
o

Page n 89


- le compte 82313 ouvert le 1er décembre 1997 au nom de "CITITRUST
COLOMBIA SA à BOGOTA" paraissait toujours actif ;
- le compte 83656 (non publié, rattaché au précédent) était ouvert depuis le 14octobre 1999 au nom de "CITITRUST SA- HUGO CARCERES GOMEZ" et
clôturé le 17 mai 2001 ;
- le compte 87032 (non publié, rattaché au 82313) ouvert au nom de CITITRUSTSA CARLOS EDUARDO GOMEZ avait été clôturé à une date inconnue et
n'avait pas enregistré de transactions supérieures à 15.000 $US;
- le compte E3521, compte opérateur domestique espagnol IBERCLEAR (ouvertle 18 juillet 1989 sous le n° EB040 puis changé en E3521 en 1994 et clôturé le 25mai 1995), réouvert depuis 2003 au nom de BBVA Banca Bilbao ViscayaArgentaria, apparaissait dans le système CLEARSTREAM sous l'intitulé
"MARTINEZ GIL Y ASSOCIA AVB SA" ;
- le compte 73067 ouvert le 8 août 1992 au nom de la société Banque JULIUSBAER-PLEDGE AC était clôturé le 14 décembre 1995; il s'agissait d'un comptenon publié du compte principal 11622 ;
- le compte 03778 attribué à Philippe DELMAS dès la première lettre anonyme,
était détenu par la société bancaire JULIUS BAER PL AC 73067, relié à un sous-
compte non publié 73067 attribué au même titulaire ; le compte 03778 était encoreouvert tandis que le compte 73067 était clôturé depuis le 14 décembre 1995 ;
- les comptes 9 DTVE et 9 DTVU n'avaient pas existé pendant les 10 dernièresannées, les voyelles étant proscrites depuis 1997 ; il s'agissait d'un compte decontrepartie EUROCLEAR (bridge account); ce compte était attribué à GilbertFLAM dans le CD-ROM du 20 août ;
- le compte C2059 avait dû être effacé dès avant 1994. Il existait un doute sur
l'exactitude de l'information provenant de MONTE TITOLI relatant que cecompte aurait été clôturé en 1997.
b) les investigations réalisées auprès des clients de CLEARSTREAM

En France, le juge d'instruction procédait à l'audition des responsables deBNP PARIBAS sur l'existence des comptes 80501, 81460, 89463, 89471, 89472,89473, 80455, 81535 et 81781 dont l'existence n'était pas confirmée, précisant
que BNP PARIBAS SECURITIES disposait de 44 comptes chez
CLEARSTREAM mais qu'aucun de ceux qui étaient cités n'en faisait partie.

 Le 4 mai 2004, une commission rogatoire internationale avait par ailleursété adressée aux autorités suisses afin d'identifier les comptes auprès de la banqueJULIUS BAER et de la Banque Cantonale Vaudoise à Lausanne, correspondantesde CLEARSTREAM.

Les réponses obtenues des autorités luxembourgeoises permettaient depoursuivre par ailleurs les investigations auprès des banques clientes deCLEARSTREAM et des chambres de compensation domestiques.

C'est ainsi qu'un complément de mission était adressé aux autoritéssuisses le 12 août 2004 en vue d'identifier les comptes suivants enregistrés le 31octobre 1994 chez CLEARSTREAM :

- 03637 attribué à Jean-Pierre CHEVENNEMENT,
- 03638 attribué à Bernard DELAFAYE,
- 00639 attribué à Philippe DOURY,
Jugement n•
1

o

Page n 90


Jugement n•
1

ainsi que, plus généralement, tous comptes ouverts à la Banque CantonaleVaudoise à Lausanne.

Une commission rogatoire internationale était établie à destination de laColombie (en date du 26 juin 2004, exécutée le 14 octobre 2005) afin d'identifierles comptes dont Chuan Pu Andrew WANG et ses proches auraient été lesbénéficiaires économiques auprès de la Citibank (en particulier le compte 82313au nom de "Cititrust"), ainsi que les comptes dont Alain GOMEZ aurait été lebénéficiaire économique :

- le compte n° 83656 (au nom de "Cititrust -Hugo Caceres Gomez"),
- le compte n° 87032 (au nom de "Cititrust-Carlos Eduardo Gomez"),
ces comptes figurant parmi ceux qui selon le second courrier anonyme auraient étéclôturés le 12 mai 2004 (D1046).
Il en résultait que le nommé Hugo CACERES GOMEZ disposait decomptes à la Citibank de Bogota et avait des liens avec la société fiduciaire de laCitibank dénommée "Cititrust".

La perquisition effectuée dans cet établissement permettait d'y découvrirle compte 82313. Les sous-comptes 83656 (ouvert le 14.11.89 et fermé le17.05.01) et 87032 (ouvert le 19.01.00 et fermé le 17.05.01) avaient pour titulairesrespectifs Hugo Enrique GOMEZ CACERES et Carlos Eduardo GOMEZVARGAS, tous deux étant identifiés et l'un d'eux étant commerçant. L'un et
l'autre déclaraient avoir tout ignorer de l'existence de CLEARSTREAM enouvrant le compte 82313 et des sous-comptes à leurs noms, n'avoir souscrit aucuncontrat avec Cititrust et ne pas connaître les dénommés WANG et GOMEZ.

Un accord global avait réellement existé entre Citibank de Colombia etCititrust Colombia. Le 14 avril 1997 des liens avaient bien été établis avec
CEDEL Bank par l'ouverture d'un compte 82313.

Une autre commission rogatoire était adressée aux autorités italiennes (en
date du 13 août 2004, exécutée le 28 septembre 2004) destinée à vérifier auprèsde la Banca Intesa et de MONTE TITOLI l'existence et la correspondance descomptes C0043, C0044, C2059 (intitulé "Ag.Cambio Puccini Fabrizio") et C2071(intitulé "Ag. Cambio Colomba Nicola"), ainsi que les comptes ouverts à la BancoPopulare di Sondrio, et correspondant à des comptes n°16438, 16439 ouverts chezCLEARSTREAM et attribués respectivement à Paul de NAGY (R6439) etStéphane BOCSA (R6440), et d'en vérifier les intitulés tels qu'ils ressortaient desrenseignements fournis par CLEARSTREAM Banking (D 1045).

Cette commission rogatoire internationale n'était retournée au magistratmandant qu'en octobre 2005.

Il en ressortait que selon la Banca Populare di Sondrio les comptes 16439,
R6439 et R6440 ne se rapportaient pas à cet établissement. Seul le compte 16438en relevait.

MONTE TITOLI indiquait qu'elle ne disposait pas de trace des comptesC0043,C0044,C2059 et C2071. Cet établissement identifiait Adorno GIOVANNI,
SOFIR'S commissionaria di Borsa et Nicola COLOMBA comme étant des agentsde change.

Une commission rogatoire internationale était adressée aux autoritésjudiciaires de Chypre le 26 juin 2004 afin de procéder aux vérifications relativesaux comptes n° 83025 et 32516 ouverts au nom de la Russian Com Bank àLimassol mais dont le véritable titulaire aurait été Dominique STRAUSS-KAHNselon la correspondance du 14 juin. Ces comptes ressortaient inconnus dans cet

o

Page n 91


Jugement n•
1

établissement.

Le 13 août 2004, le magistrat instructeur complétait sa demande d'entraideadressée au autorités luxembourgeoises en étendant les recherches au compteréférencé chez CLEARSTREAM sous le n° 80807 ouvert le 19 décembre 1994
par la Citibank de Luxembourg chez CLEARSTREAM et qui aurait été utilisé parAlain MADELIN, ministre des Entreprises du 30 mars 1993 au 11 mai 1995. Lemagistrat instructeur s'intéressait au lien pouvant existé entre ce compte etl'avenant du contrat des frégates, signé le 4 juin 1993, ayant généré uncomplément de prix de plus de 1 milliard de francs, et une majoration descommissions versées (D2918).

Une extension visait, aux termes de la commission rogatoire internationaledu 26 août 2004 adressée aux mêmes autorités, les comptes dont CITITRUST SA(de la Citibank de Bogota) avait disposé chez CLEARSTREAM depuis 1991,
notamment :

- un compte n°82313 ouvert antérieurement au 1er décembre 1997,
- un compte n°83656 ouvert le 14 octobre 1992,
et la recherche des opérations ayant pu affecter particulièrement les comptes :
- n°87032(CITITRUST SA - Carlos Eduardo Gomez) ,
- n°87127 (CITITRUST SA- Eduardio Gomez Orduz).
Une dernière demande à destination du Luxembourg, aux termes d'unecommission rogatoire internationale du 30 août 2004, tendait à vérifier la réalitédu compte ouvert chez CLEARSTREAM sous le n°73071 qui aurait fonctionnépour le compte d'Alain de WULF (D2920).

Au terme de son instruction, Renaud VAN RUYMBEKE rendait une
ordonnance de non lieu en date du 1er octobre 2008, décision devenue définitive.

4 - les investigations réalisées dans le cadre de la présente information

a) les déclarations faites par Florian BOURGES

Les juges d'instruction apprenaient le 7 juin 2006, à l'occasion del'audition de Florian BOURGES, qui s'était manifesté spontanément auprèsd'eux, que celui-ci avait participé courant juillet à septembre 2001, alors qu'il étaitélève de l'EDHEC, stagiaire au sein du cabinet d'avocats BARBIER FRINAULT& ASSOCIES, membre du réseau ARTHUR ANDERSEN en soutien du cabinet
ARTHUR ANDERSEN Luxembourg, à une mission d'audit de la chambre decompensation CLEARSTREAM. Il avait, à l'issue de cette mission, conservé pardevers lui les documents de travail et les données qu'il avait eu en sa possession
pour ce travail, dont celles qu'il avait extraites des bases de données
CLEARSTREAM.

• sur la provenance des données :
Pour les besoins de sa mission, il avait eu accès à deux bases internes :

- une base clients dénommée "DS_PROD-ACCOUNT" qui regroupait tous lesclients et tous les comptes disponibles au sein de CLEARSTREAM,
- une autre base qui regroupait toutes les transactions réalisées.
o

Page n 92


Florian BOURGES indiquait qu'il avait fourni ces données sous forme deCD-ROM dans un premier temps à Denis ROBERT courant 2002, puis à ImadLAHOUD en septembre 2003.

Pour attester de ses dires, il remettait aux enquêteurs le CD-ROM surlequel figuraient selon lui :

- l'ensemble des données clients CLEARSTREAM extraites le 3
septembre 2001 et regroupées sous un même fichier "Db3.zip", remises à DenisROBERT puis à Imad LAHOUD ;
-plusieurs milliers de transactions regroupées dans un fichier
"Clearstream.zip. parmi lesquels Imad LAHOUD avait copié lors de leur dernièrerencontre celles qui l'intéressaient.
Il précisait que la mission d'audit de CLEARSTREAM (CS) avait
mobilisé une trentaine de collaborateurs des bureaux de Paris, New-York,
Londres, Francfort, Luxembourg et Bruxelles. Le bureau parisien avait été plusparticulièrement chargé de l'audit du système informatique auquel il avait eu accèspendant les trois mois qu'avait duré la mission. Son travail avait consisté àrécupérer des informations à la demande de ses collègues, notamment destransactions, concernant des comptes au sein de CLEARSTREAM, de fouillerlibrement dans le système informatique et de relever toutes les incohérences ouanomalies, ce qui donnait lieu à l'établissement de "mémos" adressés à sessupérieurs.

Il était allé chercher ces informations sur une base de données dénommée
DATA SERVER, qui elle-même était une extraction du système au sein duquelétaient enregistrées les opérations de compensation. Cette base de 200 Go de
données incluait en fait plusieurs milliers de bases au sein desquelles étaientsélectionnées celles relatives aux opérations de l'année 2001, mais pouvantremonter jusqu'en 1998 ou 1999.

Il avait conservé des mémos, des copies de l'ensemble de son travail, dedocuments qu'ARTHUR ANDERSEN Luxembourg ne lui avait jamais réclamés,
ce cabinet ayant disparu après l'affaire ENRON).

• sur les transmissions des données à Denis ROBERT et Imad LAHOUD :
A l'occasion de leurs échanges de mails, Florian BOURGES avait transmiscourant 2002 à Denis ROBERT la base clients de CLEARSTREAM extraite le
3 septembre 2001 et qui comportait 33.430 comptes clients, sous format Excel.

Pendant l'été 2003, Denis ROBERT comparaissait devant le tribunalcorrectionnel de Paris pour diffamation à la requête de la société
CLEARSTREAM. Denis ROBERT lui annonçait que quelqu'un voulait lerencontrer, il s'agissait d'un certain "Imad", ancien trader licencié d'une banqueanglaise, qui pensait qu'en utilisant les fichiers CLEARSTREAM, il pourrait nuireà la réputation de son ancien employeur. Il avait ensuite rencontré Imad LAHOUDà deux reprises.

Ils se rencontraient au Bistrot d'Edouard à Courbevoie, la première fois finaoût-début septembre 2003. Imad LAHOUD l'avait interrogé sur
CLEARSTREAM, notamment sur le fonctionnement des bases de données. Imad
LAHOUD lui était vite apparu incompétent en informatique (alors qu'il était décrit

Jugement n•
1

o

Page n 93


Jugement n•
1

par Denis ROBERT comme un "pro", capable de pirater CLEARSTREAM), ImadLAHOUD avait alors changé de discours en révélant qu'il travaillait pour laDGSE pour une mission de lutte anti-terroriste liée à AL QAIDA et pensaitpouvoir utiliser CLEARSTREAM pour repérer des flux de transactions liés à cesréseaux terroristes.

Le discours d'Imad LAHOUD lui avait paru crédible. Celui-ci avait exhibéune carte de visite avec le logo "République Française" et l'adresse du 16, rueSaint Dominique. Il lui avait demandé de ne pas révéler à Denis ROBERT sonactivité auprès de la DGSE.

C'était en septembre 2003, qu'avait eu lieu au même endroit la remise desfichiers, par transfert sur une clé USB biométrique, à la demande d'ImadLAHOUD.

Les données copiées provenaient des fichiers clients, des fichierstransactions ainsi que des mémos. Imad LAHOUD lui avait proposé uneindemnisation sous la forme d'une aide pouvant émaner de l'unité d'EADS dirigéepar son frère Marwan LAHOUD.

Imad LAHOUD était apparu très intéressé par les comptes non enregistrésfigurant dans les fichiers transactions ("UNK_ACCOUNT" appelés "comptesfantômes" par Denis ROBERT ) et non pas dans les fichiers clients.

• sur la révélation de la falsification des données :
Florian BOURGES ajoutait qu'en juin 2004, il avait été sollicité par DenisROBERT afin d'aider le juge VAN RUYMBEKE dans l'analyse des donnéescontenues dans les documents.

Il avait pu constater que les fichiers de transaction présentaient les mêmescaractéristiques que les documents qu'il avait établis lors de sa mission d'auditnotamment l'existence des 4 colonnes ajoutées aux données CLEARSTREAM,
caractéristique des techniques qu'il employait chez ARTHUR ANDERSEN :
"BID" (prix demandé), "OFFER" (prix proposé), "SPREAD" (écart entre lesdeux), "OVER/UNDER" (prix de la transaction par rapport au cours de bourse).

Il avait également relevé que les documents avaient été créés par "NEO",
alors qu'il savait qu'Imad LAHOUD, seule personne à laquelle il avait remis desfichiers de transaction, communiquait par mails sous le pseudonyme "MATRIXNEO".

De plus, il indiquait qu'au cours de l'été 2005, Denis ROBERT lui avaitenvoyé plusieurs fichiers que lui avait transmis Imad LAHOUD :

-"EXPLICATIONS.doc" (copier-coller d'un guide d'utilisation des messagesSWIFT de CLEARSTREAM en une ou deux pages pris depuis son ordinateur parImad LAHOUD),
- "NOTE WSP.doc" (document sur le fonctionnement de CLEARSTREAM),
- "NOTE DDV.doc" (fonctionnement de CLEARSTREAM qui comprenait untexte et des annexes, tableaux représentant des transactions qui ne venaient pas deson ordinateur).
Il avait découvert les noms "Imad", "GERGORIN" et "EADS
Headquarters" soit en tant que créateurs des fichiers soit comme ayant effectué

o

Page n 94


leur dernier enregistrement. Ainsi la note "DDV.doc" avait-elle été créée le 4janvier 2004 avec pour dernier enregistrement "GERGORIN".

Sur présentation du listing contenu dans l'envoi du 20 août 2004, FlorianBOURGES reconnaissait la copie du fichier client figurant dans la base dedonnées DATASERVER de CLEARSTREAM.

Il remettait aux enquêteurs l'ensemble de ses données qui incluaient cellesqu'il avait transmises à Imad LAHOUD et à Denis ROBERT.

Denis ROBERT devait confirmer avoir personnellement obtenu desdonnées CLEARSTREAM de la part de Florian BOURGES fin 2001. Il était àcette occasion procédé à la saisie des données informatiques ainsi conservées parDenis ROBERT dont celui-ci indiquait qu'elles avaient été par la suite transmisesà Imad LAHOUD sous forme de CD-ROM en février 2003.

Imad LAHOUD précisait qu'il avait remis ce CD-ROM à son officiertraitant de la DGSE (Antoine). En revanche, il contestait avoir récupéré auprès deFlorian BOURGES d'autres fichiers.

b) les investigations complémentaires réalisées au Luxembourg auprès deCLEARSTREAM

Une commission rogatoire internationale était délivrée aux autoritésluxembourgeoises le 5 mars 2007.

Le directeur général de CLEARSTREAM BANKING, Godefroid
LAMBORAY, notait que la plupart des éléments de la structure des fichiers detransactions (contenus dans le CD-ROM parvenu à Renaud VAN RUYMBEKEle 5 octobre 2004) provenaient d'une extraction de trois tables du DATAWAREHOUSE de CLEARSTREAM, notamment les tables "ACCOUNT",
"SECURITY" et "INSD_RTSMF", à l'exception des colonnes "BID", "OFFER
, "SPREAD" et "OVER/UNDER".

Il était en outre mis en évidence :

- que 9 des 24 comptes cités dans la lettre anonyme du 3 mai 2004 n'existaient pasdans la base DATA WAREHOUSE ;
- que le compte 84601 (attribué à Mikhaïl KHODORKOVSKI) n'avait jamaisexisté ;
- que le compte 87032 attribué à Alain GOMEZ n'avait connu aucun mouvementpour la période du 1er au 31 octobre 2003 ;
- que 36 numéros de comptes avaient été ajoutés dans la base de données "DSPRODUCTION ACCT.mdb" contenue dans l'envoi reçu le 20 août 2004 parRenaud VAN RUYMBEKE par rapport à la base DATA-WAREHOUSE ;
- que dans ce même document 30 libellés de comptes existant dans la baseWAREHOUSE avaient été modifiés ;
- que de multiples erreurs entachaient les fichiers de transactions contenus dansl'envoi du 4 octobre 2004 (dates d'exécution, montants, donneurs d'ordre), aucunede ces transactions ne correspondant à celles qui avaient été enregistrées dans labase DATA WAREHOUSE ;
Jugement n•
1

o

Page n 95


- que sur les 165 numéros de comptes figurant dans les documents remis augénéral RONDOT, seuls 111 numéros de comptes étaient retrouvés dans la baseDATA WAREHOUSE de CLEARSTREAM et sur ces 111 numéros, seuls 41
présentaient un numéro de compte et un libellé identique à l'enregistrement dansla base DATA WAREHOUSE ;
- qu'aucune des personnes dénoncées n'était retrouvée dans ces comptesauthentiques ;
- que le compte 80082 à la Banca Populare di Bergamo au nom de "BPB HOR",
susceptible de correspondre à Brice HORTEFEUX, n'existait tout simplement paschez CLEARSTREAM ;
- que le compte 73701 attribué à Alain de WULF notamment dans l'annuaire des895 comptes clôturés le 12 mai 2004, n'avait existé dans les livres de
CLEARSTREAM qu'à compter du 4 avril 2005 et à un nom différent.
c) l'analyse des supports informatiques

Il s'agissait de comparaison des données figurant sur les supports
informatiques ayant servi aux dénonciations ( CD-ROM des 20 août 2004 - 4ème
envoi- et 4 octobre 2004 - 5ème envoi) avec celles retrouvées sur les CD-ROMfournis par Florian BOURGES ("données BOURGES").

-en ce qui concerne la base de donnée "Db3.zip":
Il ressortait de l'étude réalisée les éléments suivants :

• le nom, la structure et l'architecture de la base de donnée Db3 étaient
identiques à la table de la base de données du CD-ROM reçu par le juged'instruction Renaud VAN RUYMBEKE le 20 août 2004 ;
• la table Db3 contenait 33.340 enregistrements, alors que la table du CDROM
reçu par le juge d'instruction Renaud VAN RUYMBEKE le 20 août 2004en contenait 33.382 ;
• la différence de 42 enregistrements supplémentaires s'expliquait par :
± la présence de 36 enregistrements correspondant à desnouveaux noms créés dans la base d'août 2004,
± la présence de 30 enregistrements correspondant à des nouveauxnoms créés à partir de numéros de comptes existants dans la base Db3 mais avecde nouveaux libellés dans la base d'août 2004 parmi lesquels ont été identifiés 8enregistrements en doubles,
± la présence de 81 enregistrements vides dans la base d'août 2004tandis que sont absents de cette même base 83 enregistrements qui existent dansles données BOURGES ;
• les 36 enregistrements créés dans la base d'août 2004 avaient dans lechamp "ACCT STATUS FLAG" non pas un "1" ou un "0", mais un "E" ou un"N";
- en ce qui concerne les fichiers de transactions :
Il était relevé des indices permettant d'en retracer la provenance :

On retrouvait dans les fichiers "excel" contenus dans l'envoi du 5 octobre
2004 :

± une dénomination "T_TRANSACTION" qui apparaissait dansles onglets des fichiers "excel" remis par BOURGES ,
Jugement n•
1

o

Page n 96


Jugement n•
1

± quatre colonnes créées et nommées par Florian BOURGES"BID", "OFFER", "SPREAD" et "OVER UNDER" (cote D972/9).
Cependant, si 300 fichiers "excel" ressemblaient aux fichiers transactionsde l'envoi du 5 octobre 2004, les données fournies par Florian BOURGES (issuesde "CLEARSTREAM.zip") n'étaient que partiellement identiques aux donnéesressortant sur l'envoi du 4 octobre quant à la datation. Dans les donnéesBOURGES, les transactions étaient antérieures à septembre 2001 tandis que, dansles données du 5 octobre 2004, les transactions s'échelonnent entre 2002 et 2004.

- Sur les libellés des comptes et des transactions :
Il était enfin constaté qu'aucun des noms ajoutés dans les 4ème et 5ème
envois anonymes (août et octobre 2004) ne se retrouvait dans les donnéesBOURGES.

Les 9 fichiers "excel" du 5ème envoi concernaient des transactions
financières et chaque fichier était lié à un unique numéro de compte, soit 9numéros de comptes (appelés "comptes origine") au total dépourvus de libellés.

Les "comptes destinataires" étaient en réalité les "contrepartistes" destransactions, ils comportaient tous un numéro et un nom de titulaire de compte.

Il était relevé à leur sujet :

± que le libellé de onze numéros de comptes destinataires contenusdans la base BOURGES avait été modifié dans le 5ème envoi,
± une quinzaine de comptes destinataires avaient été entièrementcréés (tant le numéro que le libellé) dans le 5ème envoi (dont quatre ne figuraient
pas dans le 4ème envoi),
± les noms de PLENEL, de LASTEYRIE du SAILLANT,
FRANQUET, SIMPSON et WILSON ne figuraient pas dans le 4ème envoi (août
2004),
± quatre numéros de comptes destinataires dépourvus de libellésdans les fichiers transactions du 5ème envoi n'existaient pas dans les données
BOURGES.
Il subsistait une douzaine d'incohérences entre les données contenues dans

ème ème

les 4 et 5 envois ce qui démontrait qu'il s'agissait d'un travail peu rigoureux,
voire approximatif. Ainsi, un même numéro de compte rajouté renvoyait àplusieurs libellés distincts (ex: C0826 attribué tout à la fois à Jean-Claude deLASTEYRIE du SAILLANT, Serge de KLEBNIKOFF, Dominique SIMPSON).

d) la comparaison des "données BOURGES" avec les envoisparvenus au magistrat instructeur et le contenu de la clef USB de Jean-LouisGERGORIN

Le 14 juin 2006, Jean-Louis GERGORIN remettait aux juges d'instructionune clef USB contenant selon lui :

- les transactions remises par la source courant janvier et février 2004 etse limitant aux comptes suivis par l'enquête du général RONDOT,
- 8.000 transactions réalisées en mars et début avril 2004,
- le "super-annuaire" de 33.000 comptes obtenu en avril 2004,
ainsi qu'une extraction- papier d'une note sur le système CLEARSTREAM et unenote sur la possibilité d'avoir de comptes individuels et de gérer ceux-ci sanspasser par la banque officiellement titulaire (D1090).
L'analyse faite par l'OCLCTIC des données informatiques contenues dansla clef USB de Jean-Louis GERGORIN confirmait leur parenté avec les "données

o

Page n 97


Jugement n•
1

BOURGES" d'une part et les données contenues dans les envois parvenus à

ème ème

Renaud VAN RUYMBEKE les 20 août (4 envoi) et 4 octobre 2004 (5 envoi)
d'autre part.

Cette clef comportait 3 fichiers de type access : "original avril 2004.mdb",
"recent.mdb" et "transactions janvier février 2004.mdb".

-la base "original avril 2004.mdb"
Son titre est "DS PRODUCTION ACCOUNT". Elle est composée de deux
tables "copy of DS_PROD_ACCOUNT" et "DS_PROD ACCOUNT" identiquesquant à leur contenu.

La base "Original avril 2004.mdb" et le CD-ROM du 20 août
apparaissaient rigoureusement identiques quant à leur contenu (à l'exception ducompte 88288), les deux bases présentant des similitudes quant à leurs propriétés("Albert" et "CIA").

Il était par ailleurs relevé une identité de structure entre, d'une part, cesdeux bases et, d'autre part, la base contenue dans les données BOURGES mais desdifférences dans leurs contenus. Ainsi, sur les 33.381 enregistrements, 81apparaissaient vides, comme dans le 4ème envoi, avec un horodatage identique.

On pouvait dénombrer :

• 30 numéros de comptes présents dans les données BOURGES mais dontle libellé avait été modifié et 36 enregistrements dans clé USB qui ne figuraientpas dans les données BOURGES ;
• ces 66 enregistrements ajoutés aux données BOURGES, figuraientégalement sur le 4ème envoi ;
• 8 doublons.
-la base "RECENT.MDB"
La structure de cette base était identique à celle retrouvée dans les donnéesBOURGES, avec les 4 colonnes supplémentaires. Elle contenait 8.236
enregistrements relatifs à 95 numéros de "comptes origine" différents et 269numéros de "comptes destinataires".


comparaison avec les données BOURGES et le CD-ROM du 20
août 2004 :
-9 numéros de comptes sont communs avec les données BOURGES et
le 4ème envoi, mais les libellés sont modifiés ;
- 10 enregistrements différents existent dans RECENT mais ne se
retrouvent pas dans les données BOURGES.

comparaison avec le CD-ROM du 4 octobre 2004 :
- 4 enregistrements étaient identiques aux deux bases sur les 9 "comptesorigines" figurant dans l'envoi du 4 octobre (sans libellés associé),
- 41 "comptes destinataires" étaient identiques à ceux figurant dans ce CDROM.
- la base "Transactions janvier-février 2004 :
La structure de cette base est identique à la base RECENT. Les 4 colonnessupplémentaires s'y retrouvaient. Elle comprenait 360 enregistrements relatifs à8 "comptes origines" et 45 "comptes destinataires".


comparaison avec le CD-ROM du 20 août 2004 :
-sur 16 numéros destinataires communs, 14 libellés étaient différents,
o

Page n 98


Jugement n•
1

-15 numéros et libellés de comptes se retrouvaient dans les deux bases,

-3 numéros de comptes communs aux deux bases avaient un libellépartiellement modifié;


comparaison avec le CD-ROM du 4 octobre 2004 :
- 29 enregistrements avec numéros identiques mais libellés modifiés;
- 26 enregistrements ont des numéros de comptes et des libellés identiques.
D - La mise en évidence d'une chaîne de transmission des données originelles

L'ensemble des données qui viennent d'être rappelées permettait
d'envisager l'existence d'une chaîne de transmission des données
CLEARSTREAM avec leurs supports depuis Florian BOURGES jusqu'auxdestinataires ultimes en passant par Imad LAHOUD et Jean-Louis GERGORIN.

Le 13 septembre 2006, était jointe l'information ouverte séparément contreX des chefs de dénonciation calomnieuse, faux et usage de faux, vol et recel devol, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile de la sociétéCLEARSTREAM BANKING , société de droit luxembourgeois, déposée le 28avril 2006 (D1312).

Aux termes de cette plainte, il était reproché à Florian BOURGES d'avoirdétourné les documents qu'il avait utilisés pendant la mission d'audit et quiavaient été extraits des bases de données internes de CLEARSTREAM, alors qu'ilétait tenu par l'obligation de confidentialité incluse dans la lettre de missionengageant ARTHUR ANDERSEN Luxembourg.

Le 26 octobre 2006 était jointe l'information ouverte contre X à la suite dudépôt de plainte et constitution de partie civile de la société BARBIERFRINAULT et ASSOCIES auprès du doyen des juges d'instruction du chef d'abusde confiance le 28 juin 2006 (D1553).

Florian BOURGES était mis en examen du chef de vol commis au
préjudice de la société BARBIER FRINAULT & ASSOCIES et d'abus deconfiance au préjudice des sociétés CLEARSTREAM BANKING et
CLEARSTREAM INTERNATIONAL.

Il est par ailleurs reproché à Denis ROBERT d'avoir accepté et conservédes documents de travail dont il n'ignorait pas qu'ils provenaient de l'achèvementpar Florian BOURGES de sa mission d'audit et dans ces conditions commis ledélit de recel de vol et d'abus de confiance.

Ces mêmes faits de recel sont reprochés à Jean-Louis GERGORIN, ImadLAHOUD ainsi que Dominique de VILLEPIN.

***

Les magistrats procédaient également à divers transports et perquisitionscourant mars et avril 2006 :

- le 23 mars 2006, dans les locaux EADS à Suresnes, et plusparticulièrement dans le bureau occupé par Imad LAHOUD où il était notammentsaisi 16 documents provenant d'un sous-répertoire RONDOT issu du disque dur
o

Page n 99


Jugement n•
1

"D" de l'ordinateur Helwett Packard (scellé EADS SURESNES 9) et les disquesdurs "C" et "D" équipant les ordinateurs utilisés par Imad LAHOUD (scellés 10à 13) ;

- le 30 mars 2006 dans les locaux de la DGSE (D617) où ont été saisisdans des boîtes d'archives remises aux magistrats instructeurs dans lesquelles setrouvaient 6 CD-ROM, sur deux d'entre eux figurait la mention confidentieldéfense (placés sous scellé fermé DGSE1, les quatre autres étant placés sous scelléDGSE 2), et sur la jaquette de l'un de ces quatre CD était collé un post-itmentionnant "les tableaux les + complets sont : •Bombe => liste oct 2001
•Totalité comptes av 2000 idem CORBEAU" (scellé DGSE 3) ; le même jour, uneperquisition était pratiquée dans les locaux du SGDN (D621) ;
- le 3 avril 2006, dans les locaux EADS sis Boulevard de Montmorency,
et plus particulièrement les bureaux de Noël FORGEARD et de Jean-LouisGERGORIN et de leurs secrétariats respectifs (D631) ;
- le 4 avril 2006, au domicile de Jean-Louis GERGORIN (D633) où il étaitnotamment saisi un document de 2 feuillets intitulé "Karel SCHMIDT" (scelléGERGORIN 1) ainsi qu'un ensemble de documents concernant Imad LAHOUD,
son frère Marwan, son épouse Anne Gabriel HEILBRONNER, et Pierre GeorgesSAVA (scellé GERGORIN 5) ;
- le 5 avril 2006, dans les locaux d'AIRBUS SAS à Toulouse (D637), oùil était découvert dans le coffre-fort équipant le bureau de Marc DEPARIS,
responsable de la sécurité des sites et personnes sous la responsabilité de MonsieurLAFLANDRE, quatre fiches cartonnées à en-tête de Marc de PARIS portant desmentions manuscrites (scellé AIRBUS SAS 14) ;
- le 13 avril 2006, au Ministère de la Défense (D647) où seront trouvéesdans le bureau de la ministre une note intitulée "Dossier CLEARSTREAM" et une
note intitulée "Note sur l'organisation d'une communication économique" datée
du 21 septembre 2004 (scellé MD1), dans l'armoire forte située dans le bureau dePhilippe MARLAND une note à l'attention du directeur de cabinet civil etmilitaire en date du 29 mars 2004 et ayant pour objet "opération MADHI" (7)
incident survenu le 25 mars 2004"(scellé MD5) ;
- le 19 avril 2006, au Service Historique de la Défense (SHD) au Fort deVincennes (D662), où il était saisi les boites d'archives contenant les notes CROS2002 à 2005 (scelléSHD2 à 5) ;
- le12 mai 2006, au domicile d'Imad LAHOUD (D740).
Parmi les multiples auditions réalisées par les magistrats instructeurs,
Michèle ALLIOT-MARIE, ministre de la Défense, était entendue le 10 novembre
2006 (D1671). Elle était réentendue le 21 décembre 2007 (D3395).

Son directeur de cabinet civil et militaire, Philippe MARLAND, étaitentendu le 23 mai 2006 (D859).

Le Général RONDOT était par la suite entendu en qualité de témoin assistéà 6 reprises entre le 22 mai et le 9 novembre 2007. Il était également confrontéà Philippe MARLAND le 16 novembre (D3265), à Imad LAHOUD le 5 décembre(D3314), à Jean-Louis GERGORIN et Dominique de VILLEPIN le 11 décembre( D3325) puis à Dominique de VILLEPIN le 12 décembre (D3332).

Le 21 décembre 2006, il était procédé à l'audition de Dominique deVILLEPIN en qualité de témoin. C'est le 5 juillet 2007 que son domicile était

o

Page n 100


perquisitionné (D2723) ainsi que, le lendemain, le bureau qu'il occupait au Centrede conférences internationales sis rue Lapérouse.

***

Il convient à ce stade de l'exposé de rappeler qu'aux termes de
l'ordonnance de renvoi les faits sont poursuivis sous les qualifications de vol etd'abus de confiance à l'endroit de Florian BOURGES, de recel de vol et de recel
d'abus de confiance et à l'égard de Denis ROBERT, de dénonciation calomnieuse,
de faux et usage de faux, de recel de vol et de recel d'abus de confiance àl'encontre de Jean-Louis GERGORIN et d'Imad LAHOUD et enfin sous la
qualification de complicité de dénonciation calomnieuse, de complicité d'usagede faux, de recel de vol et de recel d'abus de confiance à l'endroit de Dominiquede VILLEPIN.

Lors une première communication pour règlement, le parquet avait requisdes juges d'instruction la poursuite de leurs investigations, selon réquisitoiresupplétif du 3 juin 2008, notamment aux fins de réentendre Dominique deVILLEPIN sur les informations dont il aurait pu disposer sur le passé judiciaired'Imad LAHOUD et sa personnalité, soit de la part du service des RenseignementsGénéraux soit par le biais de connaissances professionnelles ou privées, et sur les
démarches qu'il avait entreprises, notamment auprès de Jean-Louis GERGORIN,
à la suite de la connaissance même tardive qu'il avait pu avoir du caractèremensonger des informations transmises à l'autorité judiciaire.

Dans son réquisitoire définitif du 6 octobre 2008, le Procureur de laRépublique avait finalement requis :

-le non-lieu au bénéfice de Dominique de VILLEPIN sur les qualifications decomplicité d'usage de faux, de recel d'abus de confiance,
- la requalification des faits reprochés à Florian BOURGES sous la qualificationde vol au préjudice de la société BFA en abus de confiance,
- la requalification des faits reprochés Imad LAHOUD et Jean-Louis GERGORINsous la qualification de recel d'abus de confiance et de vol en recels d'abus desconfiance ;
- la requalification des faits reprochés à Imad LAHOUD, s'agissant des documentsremis et envoyés au général RONDOT et à Renaud VAN RUYMBEKE sous laqualification de dénonciation calomnieuse, en complicité de ce délit par aide ouassistance,
- la requalification des faits reprochés à Jean-Louis GERGORIN sous la
qualification de faux en complicité de faux.
Il était proposé de retenir à l'endroit de Dominique de VILLEPIN une
qualification de complicité de dénonciation calomnieuse pour s'être abstenu, alorsqu'il connaissait, au moins depuis le mois de juillet 2004, le caractère mensongerdes pièces transmises à l'autorité judiciaire et alors qu'il avait les moyens de faire
cesser l'infraction, de toute action de nature à empêcher la poursuite des
infractions.

II - Le processus de dénonciation selon les divers protagonistes

Jugement n•
1

o

Page n 101


Jugement n•
1

Au cours de l'instruction, les déclarations des autorités destinataires des
dénonciations et des mis en examen ont été recueillies. Elles ont permis d'une partde préciser le mode opératoire adopté pour chacune des dénonciations, d'autre partde connaître le positionnement de chacun dans ce processus.

A- Le processus de dénonciation selon les autorités destinataires

1 - Les suites données à la dénonciation selon le Général RONDOT : de
l'Opération "MADHI" à l'Opération "REFLUX"

Il résultait des explications fournies par le Général RONDOT, étayées parses verbatim, que l'opération "REFLUX", telle que l'avait lui-même baptisée legénéral, avait débuté en octobre 2003 avec les premières révélations de Jean-LouisGERGORIN sur le réseau de corruption internationale dans lequel apparaissaientdes personnalités politiques et économiques et mis à jour par Imad LAHOUD, ceque ce dernier devait contester.

Jusque-là, Imad LAHOUD intervenait au service du CROS dans le cadrede ce que celui-ci avait nommé l'opération "MADHI" dont l'objectif étaitd'obtenir les éléments permettant de localiser et mettre hors d'état de nuire lamouvance AL QAIDA. A ce titre il fournissait des renseignements. Ce statut de
"source" lui était alors reconnu par le ministère de la Défense.

Le 5 novembre 2003, Jean-Louis GERGORIN avait remis au généralRONDOT un listing de deux pages comportant la mention de comptes sur lesquelsapparaissaient les noms de DELMAS, GOMEZ, WANG , MARTINEZ, FLAM,
MARTINI, CHEVENEMENT et STRAUSS KHAN, document appelé
"annuaire" par Jean-Louis GERGORIN qui indiquait au Général que ces
informations provenaient d'une pénétration du système informatique deCLEARSTREAM réalisée par Imad LAHOUD (D610/9).

Ayant rendu compte de ces premiers éléments à la mi-novembre audirecteur de cabinet du Ministre de la défense, Philippe MARLAND, le GénéralRONDOT se voyait confier la mission de vérifier la vraisemblance des
accusations concernant uniquement les personnels du ministère de la défense.
Etaient alors cités les noms de Gilbert FLAM, du Général HEINRICH, de Sergede KLEBNIKOFF, d'Alain CHOUET, de Jean-Jacques MARTINI, de BernardSQUARCINI et d'Alexandre JEVAKHOFF.

Le 23 novembre 2003, le général recevait de Jean-Louis GERGORIN lanote de synthèse sur le fonctionnement de CLEARSTREAM avec des tableaux surlesquels apparaissaient notamment les noms de Gilbert FLAM et d'Alain
CHOUET, tous deux anciens membres de la DGSE et susceptibles d'êtreconcernés par "l'affaire japonaise", des annexes et des notes manuscrites rédigéespar Jean-Louis GERGORIN lui-même, explicitant l'organisation de ce systèmede corruption et le rôle de chacun des participants était défini par catégorie.

Sur cette base, le Général RONDOT poursuivait ses investigations pendantla fin de l'année 2003, conformément à la mission confiée par le ministre de laDéfense.

Le 9 janvier 2004, il participait dans le bureau de Dominique de

o

Page n 102


Jugement n•
1

VILLEPIN au ministère des Affaires Etrangères en compagnie de Jean-LouisGERGORIN, à une réunion que ce dernier avait provoquée sans l'en avoirpréalablement informé, ayant pris l'initiative d'aviser Dominique de VILLEPINlors d'une courte entrevue dans son bureau au quai d'Orsay le 1er janvier 2004.

Cette réunion du 9 janvier s'était tenue à l'insu de Philippe MARLAND,
du ministre de la Défense, Michèle ALLIOT MARIE, et du directeur de cabinet
du ministre des Affaires Etrangères, Pierre VIMONT.

Le Général RONDOT affirmait avoir appris au cours de cette réunion queDominique de VILLEPIN aurait préalablement informé le Président de la
République et que ce dernier aurait chargé son ministre de lui donner pourinstruction de procéder à des vérifications discrètes afin de s'assurer de la véracitédes informations figurant dans les listings CLEARSTREAM concernant lespersonnalités qui y étaient mentionnées.

Il affirmait également, reprenant en cela les termes de son verbatim relatifà cette réunion du 9 janvier, qu'avait été évoquée au cours de cette réunionl'existence de "comptes couplés" aux noms "de NAGY" et "BOCSA" et qu'unrapprochement avait été fait avec la personne de Nicolas SARKOZY.

Selon le Général RONDOT, Dominique de VILLEPIN avait fait état desinstructions du Président de la République demandant de mettre les moyens de laDGSE à sa disposition dans le cadre de ses investigations sur les listingsCLEARSTREAM,. ce que Dominique de VILLEPIN contestait.

Le Général RONDOT, ayant eu par la suite connaissance de la viveréaction de la ministre de la Défense qui n'avait pas admis qu'il ait pu recevoirune telle mission sans en avoir été elle-même tenue préalablement informée, avaitdonc décidé de poursuivre ses investigations dans la ligne fixée par son ministrede tutelle.

En mars 2004, Imad LAHOUD était interpellé dans une procéduredistincte et placé en garde à vue. Le Général RONDOT en était avisé parl'enquêteur auprès duquel Imad LAHOUD avait fait état d'un document écrit dela main de Jean-Louis GERGORIN selon lequel celui-ci se disait investi d'unemission dans le cadre de la lutte anti-terroriste au profit du général et qu'on devaitlaisser Imad LAHOUD travailler sur ce sujet dans les locaux d'EADS. Cedocument indiquait précisément les coordonnées du général RONDOT, à appeleren cas de difficulté. Mécontent de découvrir que ce genre de document, l'exposantvis-à-vis des tiers, pouvait être en circulation, le Général RONDOT avait
immédiatement téléphoné à Jean-Louis GERGORIN pour lui en faire le reproche.
Selon le général, dans les minutes qui suivaient Dominique de VILLEPIN l'avait
appelé et lui avait demandé de faire libérer Imad LAHOUD.

Le 13 avril, Philippe MARLAND ordonnait au Général RONDOT destopper son enquête si rien ne tenait, d'en prévenir Dominique de VILLEPIN et
d'établir une note d'étape pour informer la ministre.

Le 14 avril au matin, une réunion de "mise au point" se tenait dans lebureau du général entre celui-ci, Jean-Louis GERGORIN et Imad LAHOUD aucours de laquelle il était fait état de ses instructions de cesser ses vérifications si

o

Page n 103


Jugement n•
1

aucun élément nouveau ne venait corroborer les premières révélations.

Ce même jour, dans l'après-midi, Jean-Louis GERGORIN rencontraitMaître Thibault de MONTBRIAL et lui demandait de contacter le juge RenaudVAN RUYMBEKE. En fin d'après-midi, Place Beauvau, Dominique deVILLEPIN remettait les insignes d'officier de l'Ordre National du Mérite à Jean-
Louis GERGORIN. Au cours d'un aparté, celui-ci tentait de s'entretenir du dossierdes listings avec Dominique de VILLEPIN qui l'avait renvoyé immédiatementvers le Général RONDOT.

Lors de sa première audition en mars 2006, le Général RONDOT indiquaitqu'il avait fait part de ses doutes à Dominique de VILLEPIN à son retour de
mission courant avril 2004 (D610/10), ce que Dominique de VILLEPIN contestait.
Dans ses auditions ultérieures, le Général RONDOT est revenu sur cette
déclaration (D3325/25).

A la mi-mai 2004, le Général RONDOT obtenait par l'intermédiaire dePhilippe MARLAND, auquel il avait transmis sa note du 21 avril 2004 faisant lepoint de ses investigations (D701/12 à14), un entretien avec la ministre de la
Défense à laquelle il indiquait qu'il n'y avait aucun élément probant pouvantaccréditer la mise en cause des personnels de la défense.

Ses investigations devaient néanmoins se poursuivre jusqu'en juillet 2004,
tandis qu'il demandait à Jean-Louis GERGORIN d'affiner ses recherches.

En juin 2004, le Général RONDOT rencontrait successivement Jean-
Jacques MARTINI et Serge de KLEBNIKOFF. Vers la mi-juillet, il se rendait àBerne pour procéder à des vérifications sur les comptes de SQUARCINI,
MARCHIANI et SCHMITT, à l'issue desquelles les services suisses devaientréfuter l'existence des comptes liés à l'affaire CLEARSTREAM.

Le 19 juillet 2004, le général rendait compte à Dominique de VILLEPIN.

Le 2 septembre 2004, il avait un nouvel entretien avec Dominique de
VILLEPIN qui confiait : "il ya quelque chose car tout ce beau monde s'agite et
s'inquiète".

Il avait un dernier entretien sur cette affaire avec Dominique de VILLEPINen octobre 2004, alors que le dernier envoi au juge VAN RUYMBEKE avait déjàeu lieu.

2 -Le processus mis en oeuvre auprès du juge VAN RUYMBEKE

a) les déclarations de Renaud VAN RUYMBEKE

Ce n'est que le 1er mai 2006, lors d'une entrevue fortuite dans le bureaude l'un des magistrats instructeurs (D719), que Renaud VAN RUYMBEKE s'était
ouvert des circonstances de la dénonciation. Il était entendu officiellement par les

o

Page n 104


deux juges d'instruction le 10 mai suivant, jour de la parution dans les colonnesdu "Canard enchaîné" d'un article reprenant les déclarations de Maître deMONTBRIAL révélant son rôle d'intermédiaire et l'identité du corbeau en la
personne de Jean-Louis GERGORIN, et une courte interview de Renaud VANRUYMBEKE confirmant les propos de l'avocat et concluant : " Je comprends àquel point j'ai été instrumentalisé. Fort heureusement, j'ai déjoué le piège quim'était tendu" (D721/2).

Devant les magistrats, il exposait alors les circonstances dans lesquelleslui étaient parvenus les 4 documents précités. Il déclarait que, courant avril 2004,
Maître de MONTBRIAL avocat du barreau de Paris avec lequel il était en relationnotamment dans le cadre de l'affaire des Frégates de Taïwan lui avait fait partqu'un très haut responsable d'une société d'armement, se disant menacé de mortet prochain sur la liste des "morts des frégates", avait des révélations urgentes àlui faire dans cette affaire sous le sceau de l'anonymat.

A l'occasion de ses rencontres, son interlocuteur, qui s'était clairementidentifié comme étant Jean-Louis GERGORIN, avait manifesté un état d'anxiété
et de fébrilité, paraissant terrorisé et craignant pour sa vie, et lui avait fait part desa conviction relative à l'assassinat de Jean-Luc LAGARDERE par des mafieux
russes.

L'homme lui avait indiqué que la direction de son groupe préférait ne pasfaire de vagues en déposant plainte, ajoutant que les oligarques russesenvisageaient de prendre très prochainement le contrôle du groupe LAGARDEREgrâce à l'appui d'un de ses dirigeants, Philippe DELMAS, et d'Alain GOMEZ.
Jean-Louis GERGORIN lui avait dit détenir des informations sur les comptesoccultes de Monsieur WANG et sur les bénéficiaires d'importantes rétro-
commissions et cela grâce à un informaticien, Imad LAHOUD, qui disposait descomptes CLEARSTREAM. Jean-Louis GERGORIN lui avait montré des listingsmais sans jamais les lui remettre. Il avait cité les noms de WANG, GOMEZ,
MARTINEZ, DELMAS, KHODORKOVSKI, SQUARCINI, MARTINI,
STRAUSS-KAHN, CHEVENEMENT et MADELIN.

Le 3 mai 2004, l'avocat Thibault de MONTBRIAL lui avait remis en
mains propres la première lettre. Cette lettre reprenait plusieurs des thèmes queJean-Louis GERGORIN avait abordés au cours de leurs entretiens :

- les comptes "RMBA",
- les comptes jumeaux CLEARSTREAM,
- le système de blanchiment,
- l'ouverture par WANG en 1989 des comptes C0043 et C0044,
- l'ouverture en 1991 par WANG d'un trust Citibank-Cititrust à Bogota,
- l'ouverture en 1992 d'un compte 83656 par le même WANG pour le compted'Alain GOMEZ,
- le compte73067 à la Banque Julius Baer attribué à Pierre MARTINEZ,
- la mention des oligarques russes,
- le compte 03778 jumelé à la Julius Baer de Genève pour le compte de PhilippeDELMAS.
Le 14 juin, par la Poste, il avait reçu un listing sur lequel apparaissaitnotamment les noms des membres du groupe EADS, des membres des servicessecrets et d'hommes politiques. C'est en étudiant ce listing qu'il avait vuapparaître les noms de "BOCSA" et "de NAGY" et avait appris par les enquêteurs

Jugement n•
1

o

Page n 105


que ces noms correspondaient à l'identité de Nicolas SARKOZY et à celle de sonpère. Ces noms apparaissaient pour la première fois.

Selon Renaud VAN RUYMBEKE, le mode de transmission des envois
anonymes avait été convenu entre l'avocat et son client.

b) Les déclarations de Thibault de MONTBRIAL

Les éléments apportés par Renaud VAN RUYMBEKE étaient confirméspar l'avocat, Maître de MONTBRIAL, qui, dans sa déposition du 16 mai 2006,
apportait quelques précisions au déroulement des faits.

Il expliquait que, le 7 avril 2004, Jean-Louis GERGORIN avait priscontact avec lui en vue d'une consultation sur une question relative au risque deprise de contrôle dans une société commerciale par des porteurs quiinterviendraient au nom de tiers mal intentionnés dans le but de la déstabiliser.
Cette question s'inscrivait dans un cadre plus large de lutte contre des pratiquesmafieuses se déroulant dans le monde de l'industrie de l'armement. Une deuxième
rencontre était intervenue très vite après, avant-même la finalisation de cetteconsultation, le 14 avril 2004. C'est à cette occasion que Jean-Louis GERGORIN,
sur un ton solennel, lui avait demandé d'aller voir Renaud VAN RUYMBEKE
afin de lui dire qu'il souhaitait lui faire part d'un certain nombre d'élémentsrelatifs aux rétro-commissions dans l'affaire des frégates de Taïwan, présentantsa démarche comme ultra-confidentielle, sa vie étant menacée. Il s'agissait depermettre au juge d'établir des liens financiers entre M. WANG et un certainnombre d'industriels français. L'avocat s'était rendu au cabinet du juged'instruction le 15 avril. Le magistrat proposait alors de recevoir son interlocuteurau palais de justice, ce qui était refusé, ou bien dans une brasserie, ce qui étaitexclu. Jean-Louis GERGORIN avait finalement opté pour que les rendez-vous setiennent au domicile de l'avocat.

C'est dans ces circonstances que, selon le témoin, s'était tenu le 1er rendez-
vous qui s'est déroulé entre 3 heures et 7 heures du matin. Il s'agissait d'uneséance de présentation par Jean-Louis GERGORIN de ce qu'il en était et desraisons pour lesquelles il détenait des informations au sujet de l'affaire desfrégates. Il avait montré quelques documents, des feuilles de papier sur lesquellesapparaissaient des mouvements de fonds sur des comptes. Les noms cités étaientceux de Messieurs WANG, GOMEZ, MARTINEZ et d'un ressortissant russe. Un
deuxième rendez-vous avait eu lieu cette fois-ci un matin, à partir de 7h30. Jean-
Louis GERGORIN avait à cette occasion sorti des papiers sur lesquels étaientportés des noms et des numéros de comptes. Il les avait montrés à Renaud VANRUYMBEKE qui les avait pris en mains. Une longue discussion avait suivi entreles deux hommes. A ce stade, Renaud VAN RUYMBEKE n'avait pas insisté
pour connaître la source de ses renseignements.

 Maître de MONTBRIAL ajoutait : "M. GERGORIN lui a indiqué qu'ilavait une source dont, pour notre sécurité à tous les deux, Renaud VANRUYMBEKE et moi-même, ainsi que celle de la source, il ne souhaitait pasdonner le nom. M. GERGORIN nous a dit que cette source avait pénétré lessystèmes de transactions bancaires et notamment il me semble que c'était lapremière fois que le nom de CLEARSTREAM était prononcé". Jean-Louis

Jugement n•
1

o

Page n 106


GERGORIN avait toutefois indiqué au magistrat qu'il était en mesure, parl'intermédiaire de sa source, de "pénétrer en temps réel ou quasi réel dans lessystèmes de transactions bancaires évoqués, dont celui de CLEARSTREAM".

Le troisième rendez-vous s'était tenu 24 ou 48 heures après, en tout cas le29 avril 2004, au cabinet de l'avocat, à partir de minuit, et devait durer moinsd'une heure. Renaud VAN RUYMBEKE avait dit à Jean-Louis GERGORIN qu'ilétait intéressé de faire rentrer ces éléments en procédure afin de les faire vérifierofficiellement et insisté pour que Jean-Louis GERGORIN soit entendu commetémoin, le cas échéant sous le régime du témoin anonyme. Celui-ci avaitcatégoriquement refusé. A la question du magistrat "Comment on fait ?", Jean-
Louis GERGORIN avait répondu, après un silence : "Ca va, j'ai compris" et
Renaud VAN RUYMBEKE était parti. Il n'avait pas été convenu que la
transmission se ferait par voie anonyme.

Le témoin indiquait que Jean-Louis GERGORIN avait cependant indiquéqu'il avait des raisons de penser que, par la suite, il pourrait prouver que deshommes politiques étaient impliqués dans les rétro-commissions. Le lundi suivant,
soit le 3 mai, au matin, Jean-Louis GERGORIN était venu au cabinet de l'avocat
à l'improviste et lui avait remis une enveloppe fermée pour la passer à leur "ami".
Maître de MONTBRIAL admettait, sans s'en souvenir, avoir remis la lettre à
Renaud VAN RUYMBEKE sans en avoir lu préalablement le contenu.

Quelques semaines plus tard, Jean-Louis GERGORIN lui avait indiquéavoir avancé dans ses recherches et disposer d'autres éléments à transmettre à leur"ami". Aussi, dans le courant du mois de juin, lui avait-il remis, à son cabinet,
successivement, une lettre et deux CD-ROM. Il avait envoyé ces pièces par voiepostale au juge d'instruction entre le 3 mai et le début du mois de juillet 2004. Lemagistrat n'avait pas reçu l'un des CD-ROM, alors qu'il en avait reçu un de façonanonyme, pensant que Jean-Louis GERGORIN en avait été à l'origine.

Maître de MONTBRIAL reconnaissait son écriture sur l'enveloppecontenant le CD-ROM reçu au cabinet de Renaud VAN RUYMBEKE le 14 juin2004. Il n'en avait cependant pas vu le contenu. Jean-Louis GERGORIN lui avaitdit qu'il contenait des transactions de compte à compte devant permettre aumagistrat d'y retrouver des rétro-commissions. Il ajoutait que Jean-Louis
GERGORIN était revenu le voir, très enthousiaste, en lui disant que ça bougeait,
que la première lettre avait eu pour effet de "les affoler", de "les amener à
clôturer des comptes" le même jour du début mai, que c'était "pire que ce qu'il
pensait", qu'étaient mis en cause des mafieux, des industriels et aussi des hommespolitiques et des gens des services.

3 - l'apparition en cours d'information des compléments d'archives duGénéral RONDOT

Ces informations étaient confirmées le 17 mai 2006 sur le site
"nouvelobs.com" qui publiait diverses notes qui n'avaient pas été découvertes enperquisition chez Philippe RONDOT concernant la période du 27 mai et 29 juin2004 (D911). Ces documents comportaient, outre la confirmation des contactsentre Jean-Louis GERGORIN et le juge Renaud VAN RUYMBEKE, la mentionque la ministre de la Défense en avait été informée dès le 11 mai 2004.

Jugement n•
1

o

Page n 107


Jugement n•
1

Ces notes étaient authentifiées par une expertise en écritures et le GénéralRONDOT confirmait en être l'auteur.

Le 16 mai 2006, le site internet "France Info" publiait la copie d'un extrait
d'une note interne datée du 17 mars 2004 "Opération REFLUX" mentionnant "
l'apparition de quelques homme politiques de gauche et, plus récemment, dedroite, dont -en ce qui concerne celle-ci-certains qui tiennent en ce moment "lavedette" et, de ce fait, pourraient susciter l'intérêt de la magistrature suprême"
datée du 17 mars 2004 (D892/2). Cette note se retrouvera, effacée, en intégralitédans la mémoire de la carte de l'Ipaq du Général RONDOT.

Le 5 juin 2007, à la suite de l'expertise de l'ordinateur Ipaq du généralRONDOT, l'analyse de la carte mémoire de l'ordinateur (scellé Rondot Meudon4), ayant permis l'analyse du contenu des fichiers "REFLUX.psw" et "REFLUX2.psw", l'assistant spécialisé, M. PIOT, adressait aux juges d'instruction une notefaisant ressortir les divers documents contenus (D2701) parmi lesquels :

- une note interne "ops Reflux (source Madhi)" du 23.11.03,
- une lettre adressée à DDV le 12 janvier 2004,
- un courrier destiné à M. SAVA du 29 mars 2004,
- une note au directeur de cabinet du ministre (au sujet d'un incident du 25 mars2004),
-4 notes intitulées "ops Reflux" (1) à (4) des 2 février, 17 mars, 26 mai, et 30 juin2004,
- 2 notes au ministre de la défense sous le même numéro 487 et portant la date du19 octobre 2004,
- ainsi qu'une chronologie des événements à compter du 9 novembre 2004.
Selon le Général RONDOT, celui-ci avait détruit les "Notes Reflux" le 19
juillet 2004, après avoir obtenu l'accord de Dominique de VILLEPIN.

B -Les explications fournies par Jean-Louis GERGORIN

Le 19 mai 2006, soit un mois et demi après la seconde perquisitioneffectuée à son domicile et au siège d'EADS, le journal "Libération" publiait uneinterview de Jean-Louis GERGORIN dans laquelle celui-ci, qui jusque-là avaittoujours affirmé et proclamé notamment dans la presse, qu'il était étranger à cettedénonciation, faisait volte-face en reconnaissant publiquement son implicationdans les dénonciations parvenues au juge Renaud VAN RUYMBEKE ainsi qu'auGénéral RONDOT (D934). Ces éléments nouveaux étaient confirmés devant lesenquêteurs puis les juges d'instruction, sans que Jean-Louis GERGORIN aillejusqu'à révéler le nom de sa source. Il fournissait des éléments qu'il estimait utilesà l'enquête sous forme de clefs USB qui seront soumises à expertise commel'ensemble des autres éléments appréhendés au cours de l'enquête.

C'est sur la base des éléments nouveaux recueillis(conclusions desexpertises à partir des données Bourges et les éléments apparus dans le scelléRONDOT MEUDON 4) jusqu'alors portés à la connaissance des jugesd'instruction que Jean-Louis GERGORIN était de nouveau interrogé le 8 juillet2007 et complétait sa version des faits d'une part en identifiant sa source commeétant Imad LAHOUD (D2447) et d'autre part en impliquant davantage Dominique

o

Page n 108


de VILLEPIN dans le processus de la dénonciation auprès de Renaud VANRUYMBEKE (D2732).

1- des aveux initiaux de Jean-Louis GERGORIN en garde à vue jusqu'àl'identification de sa source

a) les auditions en garde à vue

Les 30 et 31 mai 2006, il était procédé, sous le régime de la garde à vue,
à une nouvelle audition de Jean-Louis GERGORIN (D943 à 957), au cours delaquelle il reconnaissait avoir été à l'origine de la remise des documents au jugeVAN RUYMBEKE par l'intermédiaire de l'avocat Maître de MONTBRIAL. Ilreconnaissait également avoir remis au Général RONDOT la note du 23 novembre2003 et avoir lui-même rédigé les documents manuscrits qui y étaient joints.

Jean-Louis GERGORIN indiquait que, dès la fin de l'année 2002, il avaitappris, d'une source qu'il ne souhaitait pas nommer, qu'un certain Karel
SCHMITT avait organisé différentes missions de surveillance des groupesLAGARDERE et EADS (D 944). Il ajoutait que le décès de Jean-LucLAGARDERE, survenu en mars 2003, l'avait beaucoup choqué et qu'il étaitarrivé à la conclusion que l'on pouvait légitimement se poser des questions sur lescauses de ce décès, en raison de l'extrême rareté de la maladie du défunt et eu
égard aux techniques parfois employées par les militaires russes dans certainesopérations. Fin avril, il avait interrogé toutes sortes de sources pouvant analyserles mouvements des titres LAGARDERE dans les mois qui avaient précédél'hospitalisation de Jean-Luc LAGARDERE. A partir de fin mai ou début juin2003, des informations d'abord parcellaires puis de plus en plus précises, maisorales, lui étaient parvenues sur des transactions financières dans le systèmeCLEARSTREAM. Cette autre source, dont il taisait également le nom, lui avaitalors indiqué qu'elle avait pu pénétrer informatiquement CLEARSTREAM. Enjuin et juillet 2003, il avait été fortement impressionné par la présence dans lesschémas manuscrits de flux financiers que la source lui avait montré, de KarelSCHMITT et Petar MANDJOUKOV et d'un certain Edin CAYBAN, ainsi que,
dès ce moment-là, de Philippe DELMAS. Dans les flux financiers identifiésfiguraient aussi Alain GOMEZ et Gafur RAKHIMOV. La source était parvenueà identifier les comptes 83656 CITITRUST BOGOTA avec comme ayant droitéconomique Alain GOMEZ, et 03778 JULIUS BAER avec comme ayant droitéconomique Philippe DELMAS. Il avait alors demandé les flux financiersaffectant les comptes SCHMITT, RAKHIMOV, MANDJOUKOVet CAYBAN.

Ainsi, jusqu'en août 2003, avait-il reçu des données brutes. La source étaitrevenue avec des informations de la Banque JULIUS BAER de Genève et deCLEARSTREAM. Les éléments recueillis alors ne lui étaient pas apparussuffisamment probants pour être communiqués à Jean-Pierre JOULIN ni àquiconque au sein du groupe LAGARDERE.

Jean-Louis GERGORIN expliquait qu'il n'avait décidé de contacter leGénéral RONDOT qu'à la suite d'une longue phase d'évaluation personnelle dela fiabilité de ces informations. Il avait néanmoins pris la précaution de rédiger dèsla fin juillet un document destiné, en cas de disparition physique, à être transmis

Jugement n•
1

o

Page n 109


au juge Renaud VAN RUYMBEKE pour lui présenter les informations, documentqu'il disait avoir détruit quand il avait choisi d'informer le CROS (D944/4).

A la mi-septembre, la source lui avait montré un tableau "excel" detransactions en cash de plus en plus dense et complexe, ainsi que des "target"
consistant en des tableaux représentant l'ensemble des mouvements. Dès octobre,
la source lui avait présenté ce qu'elle appelait un "annuaire" mis au point avec unlogiciel de recherche permettant d'identifier dans la mémoire de
CLEARSTREAM qui couvrait au moins 10 ans de transactions, l'ensemble descomptes qui avaient eu un lien financier avec les "comptes source"de WANGCHUAN POO, Alain GOMEZ et Philippe DELMAS.

Il avait alors estimé que le tableau était suffisamment cohérent pour êtrepris au sérieux mais nécessitait une vérification par une autorité disposant desmoyens d'investigation technique importants Il avait alors pensé à la DGSE. Iln'avait cependant rien communiqué à la Justice car les informations étaient à sesyeux trop légères et avaient une provenance illégale concernant les fichiersCLEARSTREAM.

Jean-Louis GERGORIN déclarait avoir remis au Général RONDOT, le 5
novembre 2003, l'annuaire et des spécimens de "targets" (scellé RONDOTMEUDON
7 cotes 17,18 et 19). Il ne s'agissait-là que de l'annuaire. Les
commentaires explicatifs inclus émanaient de la source et de lui-même. Il
reconnaissait, sous scellé RONDOT-MEUDON 7, cotes 18 et 19, des tableaux
réalisés à la demande du Général s'agissant d'une sorte de biographie sommairedes personnes citées dans l'annuaire. Il se souvenait avoir rédigé ce documentdans un bureau du ministère de la Défense. Il identifiait sous le même scellé un
extrait de la liste de 895 comptes CLEARSTREAM qui selon la source avaient étéfermés le 12 mai 2004. Il contestait cependant l'avoir personnellement transmisau Général RONDOT (D 946).

Sur la réunion du 9 janvier 2004 évoquée par le général dans sa premièredéposition, Jean-Louis GERGORIN expliquait qu'elle faisait suite à une

er

rencontre impromptue du 1 janvier avec Dominique de VILLEPIN au ministèredes Affaires Etrangères au cours de laquelle il n'avait pas pu s'empêcherd'évoquer cette affaire. Il admettait avoir indiqué dès cet instant à soninterlocuteur que sa source était parvenue à pénétrer le système CLEARSTREAM.
Il n'avait eu aucun contact avec Philippe RONDOT préalable à cette rencontre.
Dominique de VILLEPIN s'était montré intéressé par l'aspect international deblanchiment ainsi mis à jour et lui avait indiqué qu'il en parlerait au général, cequi avait entraîné leur convocation quelques jours après. Il s'était rendu à cetteconvocation en possession de "l'annuaire" et des "targets". Il précisait que sapréoccupation était alors d'obtenir la mobilisation des moyens de la DGSE.

Il déclarait ne pas se souvenir d'une déclaration liminaire de Dominiquede VILLEPIN, ni que l'on ait parlé au cours de cette réunion de Jacques CHIRAC,
alors Président de la République . Lui-même avait pris la parole pour exposer defaçon synthétique les données dont il disposait.

Il expliquait que dans les flux analysés avec le Général RONDOT figuraitun transfert d'un milliard de dollars depuis un compte CLEARSTREAM émanantd'un compte CITITRUST, avec comme ayant droit économique Mikhaïl

Jugement n•
1

o

Page n 110


Jugement n•
1

KHODORKOVSKI, vers un autre compte CITITRUST - Alain GOMEZ, transfertsurvenu une dizaine de jours après l'arrestation d'oligarques par la police russe.
Quant à Jean-Pierre JOULIN, il était apparu également avec deux comptesdifférents. Il avait lui-même fait une vérification sur les déplacements del'intéressé au Luxembourg à partir des bornes de téléphonie qui s'était révéléepositive. Les noms de "BOCSA" et "de NAGY" n'avaient pas été abordés, nil'existence de comptes couplés. Quant à MM PASQUA, MARCHIANI etSTRAUSS KAHN, ils figuraient bien dans la liste. Il confirmait que le nom deJean-Jacques MARTINI avait été évoqué (D950). La société CARLYLE, situéeà Vanuatu, avait été présentée comme une filiale off-shore du fonds
d'investissement américain CARLYLE.

Il précisait qu'à la fin de cette réunion, il avait eu un aparté avec PhilippeRONDOT au sujet d'Imad LAHOUD qui accomplissait pour lui des

Aucun commentaire:

Archives du blog